L’Italienne à Alger au Festival de la Vèzère, un vent de folie dans un royal domaine
Ne perdant jamais en intensité et en folie d’un bout à l’autre, la prestation des artistes multifonctions de la troupe Diva Opera est livrée dans le magnifique cadre du château du Saillant, en basse Corrèze. Définitivement chez elle sur les bords de la Vézère (voici 21 ans qu’elle y est invitée chaque année), la formation itinérante créée par Bryan Evans en 1996 parvient chaque année à y relever les défis les plus audacieux et, après L’Enlèvement au Sérail, La Bohème ou La Chauve-Souris ces dernières années, voici qu’elle s’attaque à un délice d’opéra bouffe : L’Italienne à Alger.
Aussi, tout britannique qu’elle soit, la troupe proscrit logiquement toute forme de flegme dans l’exécution de cette musique joyeusement fiévreuse (cette « folie organisée et complète » décrite par Stendhal). Deux heures durant, tout n’est que fol entrain et enivrante drôlerie, le tout restitué à un rythme effréné dans un cadre intimiste où les acteurs-chanteurs déambulent au plus près du public. C’est en effet dans une grange aménagée (près de 400 places assises tout de même) du château que se déroule le spectacle et, s’ils n’ont qu’un petit espace d’à peine 50 mètres carrés pour évoluer, les fougueux artistes de Sa Majesté en font le meilleur usage qui soit. Scéniquement (et même s’il n’y pas de mise en scène à proprement parler), une petite estrade occupe l’espace central, et sur elle est posée une majestueux chaise de bois sculpté, trône de Mustafa et siège des désillusions amoureuses, autour de laquelle se noue la quasi totalité de l’action.
Une petite scène pour de grands effets
Un bien peu de choses matérielles, donc (dans un espace certes restreint de toute façon), qui ne nuit en rien à l’esthétique globale du spectacle. Car celui-ci est par ailleurs servi par un éclairage certes rudimentaire (quatre petits spots aériens) mais agréablement équilibré et nuancé au gré des ambiances. Et que dire des magnifiques costumes et perruques (signés Charlotte Hillier et Joanne Berry), qui servent l’esprit historique du livret, collant à la mode ottomane avec force pantalons bouffants, gilets pailletés, fez et autres turbans bien ajustés. Esprit de l’oeuvre oblige, la troupe ne se refuse d’ailleurs pas quelques excentricités vestimentaires, comme cette robe rouge vif portée par Isabella, dont l’éclat fait mouche auprès de ses prétendants (Mustafa et Taddeo en tête) qui n’en deviennent que plus bouffons. Enfin, les incessants mouvements des personnages, leur total investissement scénique (d’autant plus palpable qu’on en juge à quelques mètres de distance), leur capacité à passer en un claquement du doigt du statut de soliste à celui de figurant, contribuent aussi largement au dynamisme du spectacle où jamais l’ennui ne s’installe.
Et si le succès couronne une nouvelle fois l’entreprise de la troupe, la qualité du plateau vocal y est évidemment pour beaucoup. En plus d’être une actrice pleinement convaincante, Catherine Backhouse est une remarquable et charismatique Isabella. La mezzo écossaise use d'un timbre radieux et aisément projeté, au grain charmeur et aux nuances ne manquant pas de velours dans le medium ni d’éclat dans les aigus. Son « Cruda sorte », tissé sur le fil d'une ligne vocale ample et soignée, est de belle tenue. Rivale dans l’action mais complice dans le jeu, la soprano anglaise Gabriella Cassidy est une Elvira qui emporte également l’adhésion, avec là aussi une voix rayonnante à l’ambitus large, s’épanouissant tout particulièrement dans de vibrants et chatoyants aigus, dont on ne peut dire en l'espèce qu'ils manquent de résonance (surtout dans cet espace confidentiel). En Zulma, la mezzo Louise Mott laisse furtivement apparaître une voix aux traits ardents.
Un baryton qui en impose
Le Mustafa de Thimothy Nelson déploie un jeu de scène empli de malice, d'austérité et de bouffonnerie au gré des situations, et de la voix. Le timbre est racé, affirmé et brillant, riche d'une profondeur qui ne confine jamais à la gravité excessive. Un outil qui confère au baryton anglais un indéniable charisme. Dans le genre imposant, le Taddeo de Martin Lamb se pose également, avec tout ce qu'il faut de bonhomie et de burlesque dans le jeu, et de présence vocale nourrie par un timbre clair et robuste. Le Lindoro d'Ashley Catling déploie une énergie indéniable, caractérisée par une gestuelle très expressive, et laisse deviner une voix plutôt harmonieuse, dont l'émission a toutefois tendance à devenir laborieuse dans les aigus (où le visage du ténor rougit et se crispe, traduisant comme une forme d'indisposition). Ashley Catling n'en reste pas moins un Lindoro attachant, tout comme le Haly du baryton Samuel Pantcheff, loin d'avoir une présence secondaire tant il fait montre d'une réelle présence vocale nourrie par un timbre particulièrement rond et sonore.
En véritable homme-orchestre, seul derrière son piano à proximité immédiate des chanteurs de sa troupe, Bryan Evans, chaudement applaudi, dicte un tempo plein d'allant, à l'exécution d'une partition dont il retranscrit aussi avec sensibilité et maîtrise l'esprit des nuances. Le maestro mène en outre de main de maître les passages les plus délicats, tel le final entêtant et endiablé de l'acte I où les solistes sont au sommet de leur complicité scénique et vocale. On peut toujours déplorer que l'oeuvre ainsi servie (sans orchestre) perde en sonorités orientales, mais le résultat final comble visiblement le public de satisfaction.