La Flûte enchantée au bon air de la montagne à Verbier
L'ascension de Verbier n'est pas que topographique, mais pourrait être aussi, avec le Festival, une métaphore pour ses nombreux artistes révélés au public, dont Meigui Zhang, jeune et prometteuse soprano chinoise, à laquelle la Verbier Festival Academy a décerné le même jour le prix Paternot.
L'Orchestre junior du Verbier Festival, dirigé par Stanislav Kochanovsky, est placé sur scène, encadré par deux écrans de part et d'autre : des caméras offrent des gros plans sur les chanteurs, ainsi que les sous-titres en français. Le jeu d'acteur s'opère très majoritairement sur l'avant de la scène, avec parfois des incursions prudentes au sein même de l'orchestre, ou même à l'arrière.
L'orchestre marque par son dynamisme dès l'ouverture, avec une justesse digne d'un grand ensemble professionnel. Sa présence sur scène est mise à profit à différents moments, dont l'intervention complice de la flûte avec le personnage de Tamino, interprété par Eric Ferring, ou celle du talentueux joueur de célesta avec Papageno, joué par le baryton Julien van Mellaerts.
Le ténor Eric Ferring ouvre le bal dans son costume de soirée, nœud papillon et ceinture de cérémonie, d'une voix claire et perçante, bien articulée et avec un vibrato sans excès. Même si le public aurait pu d'abord douter d'une véritable performance dans son jeu d'acteur, avec son attitude plutôt réservée au début, il est peu à peu rassuré car la belle collaboration avec Julien van Mellaerts, Papageno, l'entraîne dans la comédie, sans surenchère. Le personnage de Papageno requière bien du dynamisme scénique et de la capacité de légèreté, réalisée par le baryton qui, de sa voix assurée à la projection claire et très articulée, assure le « show » faisant assez vite de lui le personnage le plus touchant de l'opéra.

Pamina, un rôle interprété par la star du jour, la soprano Meigui Zhang, montre de belles qualités, un sourire affiché sur scène et une aisance qui fait de cette voix à la capacité thoracique étonnante, aussi à l'aise dans le registre medium que légère et volante dans le registre aigu, un atout à l'apogée du deuxième acte. Le public est conquis, et l'extériorise par de très forts applaudissements. La Reine de la Nuit, chantée par la soprano Maria Sardaryan à la robe en or pailletée, étincelle tout autant par sa présence que par sa voix colorature, relativement puissante bien qu'au souffle un peu court, au vibrato doux et à l'articulation forte, cueillant une grande salve d'applaudissements.

Sarastro, rôle dévolu à Yannick Spanier, en basse profonde, a la présence solennelle typique. Sa voix, bien stable et posée sur les graves, quoiqu'étonnement un peu plus imprécise sur les rares aigus, commence à se déployer à la fin de l'acte I, et semble peu à peu réunir les personnages lors de l'acte II, au point que le Sarastro décrit comme diabolique au premier acte, se révèle bel et bien magnanime au suivant. Papagena, rôle attribué à la soprano Clara Barbier Serrano, fait brillamment son entrée dans une attitude de vieille femme derrière un gilet, mais séduisante. Un jeu d'actrice efficace, qui aboutit à une riche interprétation du duo Papageno/Papagena. Sa voix lyrique au registre aigu clair et maîtrisé, est d'une très grande justesse. Le public a quelques fois un peu de peine à l'entendre, à cause d'un léger déséquilibre avec l'orchestre, mais il ne lui en tient pas rigueur : il n'attend pas les dernières notes du duo avec Papageno pour l'applaudir.

Matthew Buswell, qui a déjà interprété Sarastro au Royal College of Music de Londres, revient cette fois avec le rôle de l'Orateur. Une voix très articulée aux intentions dramatiques et au vibrato large, contraste avec la légèreté de Papageno. Mais cela ne l'empêche pas d'assurer une belle présence scénique, assumant un rôle qu'il prend pourtant pour la première fois.
Les Trois Dames, personnages commères, interprétées par Olivia Boen, Alexandra Yangel et Victoria Karkacheva, forment un trio coordonné et très amusant. Si le jeu théâtral est piquant, et l'articulation globalement identique entre les trois dames, un léger déséquilibre de puissance vocale entre Alexandra Yangel -un peu plus réservée- et ses deux consœurs s'entend un peu.

Jolyon Loy, baryton, et Michael Bell, ténor, se partagent plusieurs rôles secondaires chacun. Alors que Jolyon Bell, dans ses rôles de prêtres et de deuxième homme en armure, semble assez statique, effacé malgré sa grande taille, Michael Bell, sur une surenchère de cumuls de rôles (Monostatos, le deuxième prêtre et le premier homme en armure), se délecte visiblement de son statut de méchant avec Monostatos, d'une voix initialement un peu faible mais qui se révèle beaucoup plus projetée et puissante après l'air de la Reine de la Nuit. Jessy Leriche, Eudes Brassier de Jocas, Alexandre Degisors sont les voix des trois garçons. Issus des chanteurs à la Croix de Bois, il proposent le contraste saisissant des voix aiguës (2 sopranos et 1 alto) détimbrées, offrant et exigeant une expérience de l'écoute fine pour l'auditeur.
Enfin, un grand ensemble se joint très discrètement à l'histoire : Charlotte Bowden (soprano), Jeanne Gérard (soprano), Kali Hardwick (soprano) et Ema Nikolovska (soprano) se mêlent au Oberwalliser Vokalensemble pour former le chœur. Audibles, équilibrés, mais aussi collectivement articulés, l'ensemble des voix d'hommes forme une assemblée (le Chœur des prêtres), dont les voix donnent de la majesté à Sarastro, et l'ensemble de toutes les voix fait sonner dans la salle des Combins de Verbier un « Gloire à vous initiés ! Vainqueurs de la nuit », rappel de Mozart à son héritage maçonnique.

Si cette exécution de La Flûte enchantée montre la rigueur de tous les acteurs en place, le véritable tableau final, celui qui suit les dernières notes de l'opéra, ne tient pas du hasard. À gauche sont rassemblés les chanteurs aux rôles maléfiques, au centre Sarastro, et les personnages œuvrant pour le bien à droite.
Le succès semble bien au rendez-vous : le public réclame trois passages de saluts, et au troisième... une standing ovation, au moment où le chef d'orchestre prend la main du jeune joueur de célesta, Nathan Lee, pour l'amener au-devant de la scène.