Lucile Richardot prend Le Chant de la Terre de Mahler au Festival de Saintes
Le concert donné le jour de la Fête nationale française dans l'Abbaye aux Dames du Festival de Saintes est marqué par une rencontre inattendue entre l'immensité post-romantique (les dimensions du Chant de la Terre au programme) et le monde baroque chambriste par lequel se sont fait connaître cet effectif instrumental et la chanteuse. L’opus est certes donné dans la version arrangée en 2011 par le chef très expérimenté Reinbert de Leeuw (81 ans), réduisant à 15 musiciens le grand orchestre symphonique d'origine. Dans cette formation, la phalange ne perd toutefois nullement les masses sonores indispensables pour déployer une telle "symphonie vocale", signée d'un compositeur endeuillé par la mort de sa fille. Le maestro hollandais, dont les mouvements et le corps se courbent sous le poids de l'œuvre et des années, maintient solides les complexes fils de la polyphonie, offrant un son à la fois mesuré et puissant, tout en permettant aux instrumentistes d’exprimer leurs âmes de solistes.
Chaque soliste vocal interprète trois mouvements de l’œuvre. Le ténor Yves Saelens est d'emblée sollicité dans une grande intensité vocale, à la manière d’un Heldentenor (ténor héroïque, wagnérien). Le registre supérieur de son timbre clair s’étouffe pourtant dans la masse sonore (notes et paroles deviennent inintelligibles). Sa puissance sonore semble forcée au-delà de ses possibilités pour le forte mais la cadence reste bien démarquée dans son registre pivot. Surtout, il est plus à l’aise lorsque l'accompagnement s'allège. Dans l’engouement et la chinoiserie (avec ses gammes typiques, pentatoniques : à cinq notes) du troisième mouvement (Von der Jugend–De la jeunesse), le soliste suit le rythme avec un zèle ardent, mais d’un air haletant. Les phrasés sont dès lors entrecoupés mais l'allemand reste bien en place.
Sortie de son univers baroque, Lucile Richardot s’embarque vers cette nouvelle aventure, d'abord avec une approche prudente de l'œuvre. Sa stature posée est dépourvue de gestes et de mouvements scéniques. Bien que sa voix sonne un peu légère, elle relève le défi grâce à une prononciation et intonation solides. Le mezzo se déploie avec tendresse et agilité, toujours en bonne entente avec le chef et les musiciens. Cette version orchestrale réduite convient à son instrument vocal, en particulier dans les mouvements lents, hors desquels la voix perd en netteté dans l’articulation. L'approche vers le mouvement final exploite encore davantage les capacités d'une voix rayonnante puis au timbre rond et grave : la finesse de sa palette dynamique.
Sous les résonances fatidiques du gong et les mots répétés Ewig ! (Éternellement), Lucile Richardot fait son Adieu (Abschied) avec la sérénité d'un visage visiblement soulagé, devant la grande exaltation du public.