La Chapelle Harmonique en Catalogne pour le Festival d'Auvers-sur-Oise
Les solistes font une entrée discrète face public pour interpréter le premier morceau "¡Ay, qué dolor!" qui plonge d'emblée l'auditoire dans l'univers baroque de Joan Cererols, moine bénédictin et compositeur catalan du Siècle d'or espagnol. Cette chanson est suivie par la Missa pro Defunctis (Messe des Morts), écrite en hommage aux défunts de la peste noire qui ravage l'Espagne en ce temps. Les instrumentistes et choristes viennent alors compléter les rangs pour offrir un tableau musical d'une grande intensité. Après l'entracte, l'ensemble au complet poursuit le parcours stylistique par le genre de la chanson plus légère avec "Serafín, que con dulce harmonía" (qui sera reprise en bis) pour enchaîner ensuite avec une seconde messe, la "Missa de Batalla", célébrant la conquête du Royaume de Naples par l'Espagne. Le concert se divise ainsi entre une première partie sombre et endolorie pour terminer sur une note plus joyeuse, voire vaillante.
Il semble impossible à l'oreille de désolidariser les pupitres et les individus tant est perceptible leur désir de créer un son commun. À titre d'exemple, et si Valentin Tournet dirige principalement l'ensemble du concert, le baryton Josep Cabré est souvent amené à diriger le chœur depuis le fond de l'estrade, ce qui crée un va et vient plaisant entre les deux musiciens. De même, si Valentin Tournet dirige la Missa pro Defunctis, il prend, après l'entracte, sa viole de gambe et se fond dans l'orchestre (au pupitre des cordes) pour n'indiquer que les premiers temps à l'ensemble.
Les solistes interviennent avec la même simplicité et ne se distinguent du chœur que par la première chanson les mettant en exergue. Les voix féminines sont fruitées et la ligne baroque n'est jamais appuyée, le son restant sur le souffle et très soigné. Armelle Morvan possède un timbre clair qui ressort gracieusement, notamment à l'ouverture de la deuxième chanson. Seul l'accent espagnol sonne peu naturel malgré un soin de prononciation évident. Viola Blache a une voix plus charnue mais à l'étoffe brillante, très projetée et qu'elle sait employer avec une noble élégance. Les choristes féminines se joignent à cette grande tenue vocale.
Du côté des hommes, Josep Cabré a pour lui un chant soigné et précis. S'il commence le concert avec des sons un peu blanchis, il découvre vite un médium clair et plein qui se mêle intelligemment aux autres voix masculines, faisant le lien entre la basse et les ténors. Les aigus, parfois un peu trop intérieurs, sont toujours placés avec élégance sans jamais heurter la ligne de chant, dans une partition éprouvante. La voix claire au registre mixte très riche du ténor Robert Getchell, ou les interventions solaires des autres ténors, apportent à l'ensemble vocal une dimension éclatante sans jamais casser l'harmonie des timbres. Le chœur masculin est à l'égal du féminin, quoiqu'avec certaines tensions (lèvres crispées, bouche tordue ou menton appuyé sur le larynx), notamment en ce qui concerne la basse qui, au demeurant, possède un instrument aux belles harmoniques graves.
L'orchestre, enfin, est d'une rigueur constante. Le son est riche tout en demeurant engagé. Qu'il s'agisse des quatre bassons spécialement conçus pour le programme, ou encore du jeu délicat de la harpiste et des cuivres, le soin apporté aux nuances et à la spécificité de l'écriture du catalan enchante les spectateurs, d'autant plus que le chef prend soin d'en présenter les grandes lignes en ouverture de la deuxième partie. Certes, La Chapelle Harmonique conserve une interprétation très sérieuse des œuvres, sans doute liée au désir de défendre au mieux (et d'une manière didactique) ce répertoire et sa redécouverte. Dans l'attente que le jeu gagne en expressivité et en souplesse, le public ressort déjà conquis.