Retour des Brigands à La Scala de Milan après plus de 40 ans d’absence
La mise en scène porte la patte de David McVicar : immense peinture sur le rideau de scène, balcon surplombant d’où les figurants et les choristes assistent au drame et le commentent. En revanche, la lisibilité problématique du drame ne sort pas renforcée par l'unité d’une vision qui rende l'ensemble crédible (qualité qui fait le prix, par exemple, de son Trouvère new-yorkais). Pendant l’ouverture, le jeune Schiller se fait vigoureusement fouetter le postérieur, avant de serrer la main de son bourreau et d’assister au drame dont il s’inspirera pour écrire sa tragédie. Le décor est unique : une salle (sans doute la très stricte Académie militaire dans laquelle Schiller conçut Les Brigands, et où les sévices corporels étaient légion) qui se délabre au fil des actes, avec une balustrade, de grandes fenêtres, un portrait d’Amalia, une statue monumentale, des douches (dans lesquelles quelques figurants feront leurs ablutions en caleçon), de grandes tables ou des lits métalliques, figurent tour à tour une taverne, le château des Moor ou une forêt. Les Brigands sont affublés de masques de clowns grimaçants au nez rouge (procédé récemment utilisé par Olivier Py dans sa Gioconda bruxelloise). Amalia meurt sous des dizaines de feuillets tombant des cintres (sans doute la tragédie que Schiller vient d’achever).
La distribution réunie par La Scala rend justice à la partition, jusqu’aux comprimarii Matteo Desole (Rolla) et Francesco Pittari (Arminio), qui tiennent vaillamment leur partie. Le rôle du père Moser (comme celui de l’Inquisiteur de Don Carlos) n’intervient que dans une scène mais doit être confié à un chanteur de talent pour pouvoir faire face à Francesco dans leur confrontation du dernier acte. Alessandro Spina a l’autorité physique et scénique du personnage mais vocalement, un soupçon d’autorité supplémentaire dans la projection et dans l’accent rendrait la caractérisation du Pasteur plus convaincante encore. Michele Pertusi compose un Comte de Moor extrêmement émouvant. La basse italienne met sa technique (son legato, sa projection notamment), son phrasé et sa diction au service de la caractérisation du personnage : son portrait du vieux Massimiliano, brisé par ses relations conflictuelles avec ses deux fils, séduit pleinement le public qui lui réserve des applaudissements chaleureux.
Il faudrait à Massimo Cavalletti plus de puissance vocale pour incarner au mieux le personnage de Francesco, un rien monolithique et uniformément mauvais dans le livret comme dans la partition. Ceci dit, ce léger déficit de puissance pousse le chanteur à chercher d’autres moyens permettant de traduire le côté noir du personnage : l’incisivité de la diction notamment, permettant de faire jouer l’allusion perfide plus que la force brute.
Fabio Sartori est un Carlo plein de bravoure, aux aigus francs et assurés, et rapproche le personnage du Manrico héroïque de « Di quella pira » – du moins dans les pages les plus vaillantes de la partition, comme le finale du troisième acte. Dommage que tant de vaillance ait parfois pour conséquence de briser la ligne de chant et de faire entendre un petit sanglot un peu plus souvent que de raison, et pas toujours à bon escient. Lisette Oropesa parvient plus ou moins à dissimuler, avant l’entracte, une petite difficulté dans les aigus (ils sonnent tous légèrement éraillés), mais la deuxième partie du spectacle la trouve en pleine possession de ses moyens. Timbre fruité agrémenté d’un léger vibratello qui le rend très personnel, ligne de chant stylée et sobre (la reprise de la cabalette « Carlo vive » comporte juste ce qu’il faut de variations), projection efficace, assurance des aigus et des vocalises : elle remporte les suffrages du public.
L’Orchestre de La Scala est exemplaire de style et les chœurs le seraient tout autant, n’étaient quelques attaques pas toujours très franches. Quant au chef Michele Mariotti, il remporte un véritable triomphe : son amour pour l’œuvre est visible et audible, dans l’énergie qu’il donne à cette musique, le choix de tempi toujours idoines, l’attention accordée à mille détails rythmiques ou instrumentaux qui, sous sa baguette, ne sont pas décoratifs mais participent pleinement du dramatisme et du style de l’ouvrage. L'auditoire salue enfin son respect absolu de la partition, y compris le maintien des reprises des cabalettes, toutes chantées et variées dans le respect de l’écriture verdienne.