Correspondances artistiques au Musée de la Vie Romantique
Donné dans l’ancien atelier-salon du peintre hollandais Ary Scheffer, ce récital immerge le spectateur dans l’atmosphère bouillonnante du Paris romantique. Dans cette petite pièce ornée de tableaux de Delacroix et d’Ary Scheffer, ainsi que d’une grande bibliothèque, tous les arts se rencontraient régulièrement grâce aux musiciens, poètes et peintres de passage. Ce soir, cette symbiose artistique passée est pleinement ravivée par des duos et airs pour soliste de couples artistiques tels que Jules Massenet et Paul Verlaine, Hector Berlioz et Théophile Gautier, Franz Liszt et Victor Hugo. Les mots et les sons se répondent d’un bout à l’autre du récital et par-delà les nationalités puisque se succèdent airs français teintés des lointaines couleurs du Moyen-Orient (l’air de Camille Saint-Saëns sur des poèmes du Prince Haïdar-Pacha) ainsi qu’airs italiens de Rossini et Donizetti. Ce programme aux multiples auteurs reflète ainsi la richesse artistique du lieu par lequel sont passés la plupart des compositeurs présentés.
Le ténor malgache Sahy Ratia marque d’emblée par la solidité de sa voix. Maintenant une attitude sobre et discrète, son regard ne lâche pas l’auditoire. Le grain chaud de son chant se fait même onctueux dans les volutes descendantes de l’air Si mes vers avaient des ailes de Reynaldo Hahn. Le ténor volette sans effort, des graves généreux aux aigus enchanteurs, le tout avec une diction impeccable qui effleure subtilement les accents des vers poétiques. C’est avec une énergie décuplée que Sahy Ratia interprète l’air de L’Élixir d’Amour, répertoire qui lui est bien connu puisqu’il vient d’incarner Nemorino à l’Opéra d’Avignon en mai (notre compte-rendu). Le filtre à la main, sous la forme d’une bouteille, il parcourt le devant de la salle avec un jeu travaillé, plein de surprises, mettant chaque auditeur en alerte.
À ses côtés, la soprano ukrainienne Iryna Kyshliaruk se distingue par un timbre plein, quoiqu'un peu voilé dans les derniers airs. Ses vocalises mènent à des aigus puissants et bien aiguisés. Avec beaucoup d’énergie et d’émotion, elle épouse les caractères atypiques de certains airs, tels que la Chanson espagnole de Léo Delibes sur un poème d’Alfred de Musset. Avec soupirs et épaisseur dans la voix, la chanteuse révèle la joyeuse sauvagerie de cette mélodie trépidante. Il n'y manque que la précision dans la diction. En duo, son timbre se mêle avec finesse à celui de Sahy Ratia, tout comme leurs regards, soigneusement échangés à la fin des airs. Jeff Cohen les accompagne avec placidité et précision, attentif au moindre accent, offrant à l’auditoire des précisions tout à fait spontanées qui vivifient le récital.
Dans ce petit atelier, rempli par une cinquantaine de spectateurs, la mise en abyme artistique est absolue : en peu de temps, les artistes emportent l’auditeur au-delà du chant, là où les arts se confondent et s’unissent. Deux bis enthousiastes clôturent cet épisode poétique : L'Heure exquise de Lehár et le Duo des chats de Rossini.