Elena Stikhina seconde La Force du destin à Bastille
La mise en scène de Jean-Claude Auvray fait alterner des tableaux séduisants pour l’œil (le prologue), impressionnants (le second tableau de l’Acte II, avec son immense crucifix surplombant la scène), parfois un peu grotesques (les danseuses levant leurs jambes en rythme façon french cancan lors du spectacle organisé par Preziosilla avant son Rataplan). La transposition du livret à l’époque du Risorgimento (unification italienne) n’ajoute pas d'élément dramatique mais ne nuit pas à la lisibilité de l’action, toujours préservée malgré le caractère alambiqué de l’intrigue.
La seconde distribution de cette reprise de La Force du destin permet d’entendre la Léonore d’Elena Stikhina, particulièrement attendue après ses premiers succès parisiens, notamment en Tatiana en 2017 (elle remplaçait Anna Netrebko) ou tout récemment en Tosca (elle remplaçait Sonya Yoncheva). Elena Stikhina est assurément une soprano lyrique : les pages les plus amples du rôle (« La Vergine degli angeli », « Pace, mio Dio ! ») lui permettent de déployer le velours d’un timbre particulièrement soyeux sur toute la tessiture, de conduire une ligne de chant raffinée et nuancée, en y intégrant très naturellement des aigus piano (notamment celui, délicatement filé, sur le « Invan la pace » du dernier air). Pour autant, les éclats de son second air (« Son giunta! »), avec la progressive montée en puissance sur les « Deh, non m’abbandonar » successifs, ou sa confrontation avec le Père Gardien l’exposent à ses propres limites en termes de puissance et de dramatisme. En l’état, le portrait de Léonore brossé par la soprano russe marque cependant pleinement et vaut à la chanteuse un nouveau grand succès parisien.
Succès qui se poursuit également pour les débuts à l’Opéra de Paris du ténor américain Brian Jagde. La voix est plutôt sombre, presque barytonnante : cela n’empêche nullement le chanteur de tenir des aigus éclatants, et cela correspond en outre au profil psychologique tourmenté du personnage. En dépit d’une tentative ratée d’attaquer piano son air du III « O tu che in seno agli angeli », le chant est nuancé et le personnage efficacement caractérisé.
Troisième grand rôle de l’œuvre, le méchant frère Don Carlo, est interprété par le baryton serbe Željko Lučić, qui délivre une ligne de chant un peu frustre, avec des aigus ayant tendance à plafonner, mais cette caractéristique ainsi qu’une puissance appréciable sont finalement au service d’un personnage extrêmement brutal et continûment rongé par le désir de vengeance.
Les seconds rôles de Preziosilla et du Père Gardien sont tenus respectivement par Varduhi Abrahamyan et Rafal Siwek. Lors de l’acte II, la première rencontre quelques problèmes de justesse, notamment dans le médium. Ces problèmes disparaissent au fil de la représentation et le format vocal de l’interprète (qui officie beaucoup dans le bel canto) lui permet d’éviter tout excès de décibels –une sobriété en adéquation avec son interprétation scénique, qui échappe à tout histrionisme et toute vulgarité. Rafal Siwek, quant à lui, possède dans sa voix, large et bien posée, les qualités permettant d’exprimer aussi bien l’autorité du Père Gardien que son humanité lors du trio final. Son subalterne Melitone est campé par un Gabriele Viviani drôle mais sans cabotinage, au chant sûr et à la voix bien projetée. De Curra (Majdouline Zerari, élégante mezzo) à Trabuco (Rodolphe Briand, à la présence vocale et scénique affirmée), de l’Alcade de Lucio Prete au chirurgien de Laurent Laberdesque, tous deux artistes des Chœurs de l’Opéra, les rôles secondaires plus modestes sont tous tenus avec engagement et efficacité.
Les chœurs, pleinement impliqués, et l'Orchestre de l'Opéra National de Paris aux sonorités rutilantes (les cuivres, particulièrement sollicités, sonnent de façon éclatante) sont dirigés par Nicola Luisotti. Certaines pages, tels le thème du destin ou encore l’arrivée de Léonore au couvent (où l’orchestre de Verdi illustre admirablement aussi bien l’essoufflement du personnage que son angoisse) sont dirigés de façon étonnamment sage, avec un tempo mesuré et une amplitude sonore assez restreinte. Cependant, la lecture globale de l’œuvre est cohérente, préserve la tension dramatique et a le mérite de ne jamais couvrir les voix.
Le public réserve d’ailleurs au chef et à l’orchestre un accueil particulièrement
enthousiaste.
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