Joyce DiDonato au Festival d'Auvers-sur-Oise : récital incandescent d’une artiste dévouée
Joyce DiDonato arrive, sourire aux lèvres, et présente dans un français assez personnel mais dont l'auditoire apprécie l’excellente prononciation le ton qu’elle souhaite donner à son récital : tout tournera autour de la femme. Femme tragique, comme c’est le cas d’Ariane ("Teseo mio ben", extrait de l'Arianna a Naxos composée par Haydn) ou Desdemona dans l'Otello de Rossini ("Assisa a piè d’un salice"), déchirée comme c’est le cas de Marguerite (La chanson du roi de Thulé et "D’amour l’ardente flamme", La Damnation de Faust, Berlioz), ou encore élégiaque comme Nelly ("Dopo l’oscuro nembo" Adelson e Salvini, Bellini). Femme futée et énergique, comme c’est le cas de Susanna ("Deh vieni non tardar", Les Noces de Figaro, Mozart) ou encore, en sourdine, femme érotisée comme elle apparaît dans l’air enflammé du jeune Cherubino ("Voi che sapete" du même opéra), la gent féminine est présentée dans la richesse et l’ambiguïté de ses caractérisations scéniques. L’air de zarzuela "De España vengo" (El niño Judío) et les mélodies de Reynaldo Hahn (Venezia), enfin, apportent un commentaire plus léger au propos.
Magnifique concert jeudi à Auvers sur Oise avec Joyce Didonato et David Zobel @Festivalauvers @JoyceDiDonato #davidzobel pic.twitter.com/0aOqjA1250
— Isa (@Isa51013632) 22 juin 2019
La voix est chaude, ronde, brillante. Si les graves ne sont pas très sonores au début du récital, le legato que Joyce DiDonato prend soin de déployer au fur et à mesure lui permet une palette de nuances et propose un chant sul fiato (chant sans appui laryngé dont la projection se base sur l'énergie et la direction du souffle). Le timbre change de couleur au gré des interprétations avec une intelligence théâtrale qui permet à l’artiste de proposer plusieurs personnages très distincts, tous pleinement habités. Sa Suzanne est pleine de (fausse) retenue, et la chanteuse parvient même à faire exister Figaro à ses côtés par un jeu de mimiques drôle et envoûtant. Musicalement, ce sont les notes tenues et captivantes de l’air qui apportent une dimension mélancolique, faisant de la servante un personnage dont se ressent immédiatement l’espièglerie et la fragilité. De même Cherubino alterne les différentes émotions de l’adolescence : tantôt timide, tantôt ardent, avec un entrain communicatif et désarmant (y compris dans son salut final, à la fois téméraire et maladroit).
Si Mozart convient ainsi à la chanteuse, la ligne vocale s’épanouit généreusement chez Bellini dans "Dopo l’oscuro nembo", ainsi que chez Rossini par la tristesse et la noblesse de sa Desdemona. La chanteuse semble un peu moins à l’aise chez Berlioz, sans les appuis orchestraux nécessaires à soutenir les élans de sa Marguerite. La voix est un peu moins assurée, en conséquence, et quelques erreurs de textes trahissent ce léger manque de confiance. L’entente avec le pianiste, David Zobel, touche pourtant à la complicité artistique et permet de nombreux écarts avec la partition, assumés et tenus dans le propos.
La chanteuse américaine séduit ainsi grâce à l’esprit qu’elle met dans les mélodies de Reynaldo Hahn et elle est acclamée par le public qu’elle remercie avec deux bis émouvants : "Non ti scordar di me" et "Somewhere over the Rainbow", rappelant délicatement ses origines américaines et son amour originel pour le Jazz.