Didon et Énée, Entente Cordiale au Midsummer Festival
Situé au bord du Château d'Hardelot (lui-même récemment rebâti sur les vestiges d'un ancien édifice), le théâtre élisabéthain accueille pour la première fois depuis sa construction en 2016 un spectacle lyrique joué avec la fosse d’orchestre (investie ici par 13 musiciens de l’Ensemble Diderot). Ce lieu shakespearien, entièrement boisé et rond (à l'image du Temple qu'est le Théâtre du Globe) est, par sa taille intime, propice à des pièces aux effectifs intenses et réduits comme c'est le cas pour cette production signée Benoît Bénichou (déjà donnée au début de cette saison au Théâtre de l’Athénée).
La psychologie des personnages est mise au premier plan : sans décors, l’espace est délimité par des tulles blancs qui offrent transparence et perméabilité entre les mondes du conscient et de l’inconscient. Par cette lecture, le spectateur est plongé dans l’imaginaire et l’irréel, dans l'intériorité sentimentale des protagonistes (à défaut d'une narration de l’histoire). Ce choix se renforce davantage dans la scène de la grotte (représentée par un trou dans le rideau) où la sorcière professe son plan maléfique contre l’amour de Didon et Énée. Autre hommage rendu au lieu : cette version se rapproche d'un théâtre britannique originel, la dramaturge Catherine Kollen rajoutant un prologue avec des textes de Virgile (L’Enéide) et de Purcell, des airs et ouvertures de ses autres œuvres (mais également une nouvelle musique composée pour cette occasion). L'œuvre se rapproche ainsi de la forme semi-opéra, un mélange de textes parlés et chantés certes très exigeant pour l'écoute musicale.
Quatre chanteurs endossent chacun plusieurs personnages. Chantal Santon-Jeffery incarne notamment une Reine Didon tourmentée par l’amour et transmettant ses émotions au public. Son jeu d’actrice s'appuie sur les expressions de la rage comme de la lamentation. La voix est puissante mais bien dosée en projection, capable de changer de registres et de caractères (lorsqu’elle chante le rôle de la Sorcière notamment). Avec musicalité et douceur, son instrument suave et clair met le public dans un état de suspension sur l’air de la mort de Didon (When I am laid in earth). Son partenaire dans le rôle d’Énée, Yoann Dubruque a une force vocale barytonnante mais négligeant la finesse : le vibrato quelque peu excessif perturbe surtout la justesse des notes tenues. Sa prononciation du texte, bien que travaillée, manifeste quelques accents français dans les dialogues parlés. En revanche, il fait preuve d’une bonne écoute et d'une entente cordiale (rythmique notamment) avec l’orchestre et ses collègues chanteurs.
Daphné Touchais en Belinda possède un timbre rond et une prononciation irréprochable. Son air Pursue thy conquest, love, rythmiquement très enjoué, est précis, manifestant la délicatesse des détails par sa longueur du souffle dans les vocalises, parcourant les mélismes avec facilité. La mezzo Anna Wall marie harmonieusement sa voix aiguë avec les autres interprètes féminins, ou bien déploie tout son potentiel sonore et son intensité dans sa seule intervention soliste.
Johannes Pramsohler coordonne avec maîtrise le plateau et la fosse (jusqu'aux « Ho ho ho » très rapides du chœur), parvenant à faire ressortir les facettes de la polyphonie de Purcell avec une qualité chambriste. Le choix de l’instrumentation pourrait paraître léger, notamment par un manque d'assise (et d'instruments) dans la ligne de basse, mais l'ensemble est certes historiquement informé. Par sa constellation intimiste et leur bonne préparation, les instrumentistes comme les choristes incarnent des chimères et commentent l’histoire de l’opéra dans un juste équilibre, permettant à chaque partie son expression.
Le public accueille affectueusement les artistes à l’issue de la représentation et manifeste son envie de revenir dans ce Festival qui se poursuit tout au long du mois (retrouvez-en le programme lyrique parmi notre Grand Guide de l'été).