Prophète(s) : création audacieuse, entre Orient et Occident à la Basilique Saint-Denis
Dans une production sans frontières et intemporelle, des chants sacrés résonnent dans le cœur de tous. À travers l’évocation des trois monothéismes, les religions qui ont trop souvent fait l’objet de luttes fratricides réalisent la « prophétie » du vivre-ensemble et incitent à la tolérance, portées par des musiques universelles. Des compositeurs classiques comme Brahms, Rachmaninov ou Liszt, sont honorés au même titre que des compositeurs populaires anonymes : les genres musicaux interprétés excèdent toute hiérarchie, et illustrent, chacun d’une façon singulière, un aspect du sacré. Par une mise en scène soucieuse d’assurer des transitions entre différents morceaux sacrés de différentes époques et chantés dans de nombreuses langues, le chœur chante d’abord a cappella derrière les candélabres, au niveau de l’autel, sous l’égide du divin. Effaçant les frontières spatiales et temporelles pour proposer un programme inédit, l’ensemble suggère des ponts entre les cultures et invite à un voyage musical où les rôles assignés à chacun sont désormais partagés par tous. Ainsi, les instrumentistes commencent-ils par chanter avec le chœur avant de gagner la scène. Les chants évoquent la contemplation mais jamais en conservant une posture statique, en effet, le chœur se met en mouvement fréquemment, traverse la nef, se déplace au rythme des morceaux. La mobilité des chanteurs suggère le partage entre les cultures, la dimension œcuménique et universelle de la musique. D’un morceau à l’autre, une basse continue toujours présente assure la liaison entre les différentes prières des trois monothéismes dans un spectacle paradoxalement homogène grâce à un répertoire pensé dans un ordre alliant et effaçant les contrastes.
Les instruments traditionnels côtoient les instruments classiques. Trombones, contrebasses, bâtons de pluie et tambourins résonnent de concert alliant la liberté de la musique populaire et la rigueur de la musique classique en un même moment. Suivant l’écho des voix, les vents prennent le relais du chœur, immédiatement suivis par les cordes. Les modulations orientales entonnées par les solistes de chants traditionnels Georges Abdallah et Milena Jeliazkova sont reprises en motifs par les instruments, en constant dialogue avec les voix.
Georges Abdallah participe à la transmission de chants moyen-orientaux portés par une tessiture légère permettant une articulation précise et audible des paroles arabes. La spécificité du chant populaire s’entend sur le plan technique : la voix n’est pas constamment timbrée, elle fait entendre parfois un souffle qui, lié aux modulations de l’air musical, contribue à l’aspect vivant du morceau et évoque l’évanescence du divin à travers l’art. De son côté, telle Esméralda, M. Jeliazkova déploie ses chants avec une couleur de voix assez chaude et une tessiture légère, sa voix prend alors de l’ampleur naturellement sans effort technique apparent. Son jeu d’actrice est davantage développé, il correspond à son répertoire, plus rythmé que celui de son homologue masculin. Ainsi lui arrive-t-il de jouer, toujours avec mesure et parcimonie, avec les sequins de sa robe. Le souci lié à l’articulation des paroles chez les deux solistes semble primordial, chaque culture est illustrée est chantée dans la langue d’origine avec beaucoup de zèle. De plus, l’agilité et l’aisance du phrasé des solistes leur permet d’intégrer des ornements sans forcer, tout en respectant scrupuleusement la lettre de leur texte.
Le contraste évoqué par les choristes lyriques qui posent leur voix selon la tradition occidentale et les solistes qui expriment une tout autre façon de chanter, à l’orientale, étonne et attise la curiosité. De nombreux Alléluias retentissent dans la Basilique, la psalmodie se marie avec le chant proprement dit. La foi, de tous les horizons, s’incarne dans la musique. L’amplitude vocale des solistes emplit la basilique d’une aura toute particulière, leur liberté d’improvisation, audible à travers les nombreuses modulations sonnent comme des arabesques et se marie avec la technicité lyrique du chœur.
L’ensemble invite à s’approprier les chants et les prières de l’autre, venus d’ailleurs, en participant au concert. En effet, suivant le chef d’orchestre, les fidèles spectateurs, imprégnés du programme sacré, au rythme de plus en plus entraînant, rejoignent l’ensemble à l’extérieur, désormais au seuil de la cathédrale pour applaudir au rythme de la musique. La distance entre les interprètes et les spectateurs est alors supprimée. Le rapprochement des cultures à travers ce programme inédit en latin, grec, allemand, slavon, ladino, arabe, arménien, hébreu, espagnol, russe, bulgare ou encore en amharique, invite à être davantage à l’écoute des autres et à voir leurs différences, qu’elles soient sociales ou culturelles comme une richesse commune. À la fin, le spectacle ne retentit plus dans la cathédrale mais se tourne vers la ville, les badauds s’arrêtent et profitent de ce moment de partage musical avec les festivaliers.
Cette création originale invite à apprécier les différences de chacun et à faire fruit d’une culture plurielle révélée par la musique.