L’Anima Sacra de Jakub Józef Orlínski à Montpellier
Ce programme comporte des pièces qui, à l’exception du Stabat Mater de
Vivaldi, sont loin d’être souvent programmées en concert.
Jakub Józef Orlínski a déjà son public, qui l’aime et le chanteur le sait, aussi n’a-t-il pas besoin de déployer des trésors d’imagination pour faire fondre les spectateurs : tourne-t-il la tête de droite à gauche en suivant le rythme de la musique, dégrafe-t-il un bouton de sa veste, fronce-t-il les sourcils pendant que l’orchestre s’accorde que le public s’esclaffe, applaudit, trépigne, et en redemande ! Mais le charme du contre-ténor est aussi et avant tout vocal. Il exerce sur l’auditoire un pouvoir de fascination, dont témoigne le silence religieux qui se fait dès que le chanteur ouvre la bouche.
Le programme reprend en partie les pages choisies pour le CD homonyme Anima Sacra paru chez Erato : il s’agit d’œuvres vocales de Johann David Heinichen, Nicola Fago, Jan Dismas Zelenka, Johann Adolph Hasse, auxquelles s’ajoute le Stabat Mater de Vivaldi et deux pages instrumentales de Corelli et Jan Dismas Zelenka. Le chanteur offre par ailleurs trois bis : « Alla gente a Dio diletta » d’Il Faraone sommerso de Fago, le « Domine Fili Unigenite » de la Messe à 5 voix de Francesco Durante, et le touchant « Vedrò con mio diletto » du Giustino de Vivaldi (dont une interprétation par cet artiste, il y a quelques étés, est devenue "virale").
Ce n’est pas dans la puissance vocale (suffisante, surtout pour la salle Pasteur du Corum) ni dans la variété des couleurs (le timbre déploie son doux velours sur toute la tessiture, d’une façon très homogène, voire un peu uniforme) qu’il faut chercher l’originalité du chant de Jakub Józef Orlínski.
Les points forts de l'interprète résident tout d'abord dans la maîtrise technique : le chant orné impressionne sans jamais être démonstratif. Les vocalises évitent tout staccato intempestif : elles restent au contraire liées, sans perdre de leur précision. Le souffle, sans être immensément long, est habilement maîtrisé et surtout, les respirations sont placées de telle façon qu’elles ne rompent pas la continuité du discours musical. Enfin la liaison des registres, pierre d’achoppement de nombreux contre-ténors, se fait de manière fluide et naturelle.
La voix est étendue, même si, ce soir, les aigus de Mea tormenta, properate ! (Hasse) plafonnent et perdent leur moelleux. Le grave et l’extrême grave en revanche, sont projetés avec aisance sans que la voix perde sa couleur naturelle (impressionnant « Eia mater » du Stabat mater de Vivaldi).
La concentration du chanteur, qui confine au recueillement dans les pages les plus introverties ou les plus douloureuses du programme, ajoute enfin à son chant un surcroît d’émotion et n’est sans doute pas pour rien dans l’attention extrême que le public manifeste à l’écoute de ces pages.
L’Ensemble Il pomo d’Oro offre un luxueux écrin à cet art du chant : dirigé par Francesco Corti (qui tient également la partie de l’orgue), les huit musiciens accompagnent le chanteur ou lui répondent avec une efficacité qui ne se départit jamais de sa musicalité, qu’il s’agisse de dessiner les volutes mélancoliques et tragiques du Stabat de Vivaldi, ou de tracer les contours nets et tranchants du Mea Tormenta de Hasse.
À cette interprétation musicale de qualité s’ajoute enfin le plaisir d’entendre plusieurs pages méconnues, dont plusieurs avaient d’ailleurs été révélées par le CD d’Erato. Un plaisir qui se prolongera dans les semaines à venir, Jakub Józef Orlínski s’apprêtant à chanter ce même programme à Maillezais, Froville, Bordeaux, Hardelot, Méry-sur-Oise et Saint-Michel.