Festival de bonne humeur avec Maître Péronilla au TCE
En ouverture de son festival annuel, le Palazzetto Bru Zane présente au Théâtre des Champs-Elysées sa nouvelle redécouverte issue du catalogue d’Offenbach : Maître Péronilla. L’ouvrage, composé deux ans avant sa mort, est marqué d’une maturité musicale, qui le mènera peu après vers Les Contes d’Hoffmann. Les ensembles sont menés avec entrain et mobilisent pas moins de 16 solistes en plus du chœur. Des pages plus douces sont présentes également et ne manquent pas d’attrait. Le livret, qui est attribué au compositeur, respire sa science des mots, de leur rythme, de leurs jeux. Le rythme ne retombe jamais jusqu’au twist final. Les comiques de situation ou de répétition sont savamment orchestrés, les personnages choisis avec leurs tares comiques (pertes de vocabulaire, surdité, bégaiement) : le public rit souvent et de bon cœur.
Le chef Markus Poschner, à la tête de l’Orchestre National de France, donne une lecture enlevée et aux contrastes marqués. Les passages les plus doux sont interprétés avec lyrisme, tandis que les passages festifs sont réellement dansants. Certes, les percussions savonnent certaines de leurs interventions (cymbales et castagnettes manquent de précision), mais les cordes (emmenées par une Sarah Nemtanu aux délicates interventions solistes) se montrent exactes : leurs coups d’archets enthousiastes ou leurs staccati sautillants accompagnent des solistes impliqués (ils jouent leur personnage même en dehors de leurs interventions), tous aussi théâtraux et compréhensibles dans les passages parlés.

Éric Huchet, éminent serviteur d’Offenbach (à retrouver ici en interview et prochainement dans Madame Favart), assure le rôle-titre de son air bonhomme, avec une grande attention portée au sens de chaque mot (il croque le mot « chocolat » comme s'il le mangeait). Sa voix solide au timbre clair offre de beaux aigus, maîtrisés. À ses côtés, Véronique Gens, dans sa robe rouge, s’amuse du sang espagnol qui coule dans les veines de son personnage, Léona, multipliant les mimiques et les emportements. Sa voix bien couverte se montre tantôt volcanique et tantôt glacée, toujours bien audible. François Piolino, habitué du répertoire, est un Don Guardona parfaitement idiot. Sa voix solide au timbre franc est maniée avec vélocité.
Dans l’autre camp, Antoinette Dennefeld brille en Frimouskino, au regard malicieux. Sa voix douce et suave est bien ancrée, malgré sa posture s’appuyant sur une jambe. Elle la projette avec éclat et finesse, son vibrato appuyé apportant du relief à l’interprétation. Anaïs Constans chante le rôle clé de Manoëla d’une voix ronde et voluptueuse, agile dans les vocalises, toujours bien projetée. Chantal Santon-Jeffery porte la cravate et des cheveux en garçonne pour mieux se travestir en Alvarès, malgré l’absence de mise en scène. Sa voix pure et dure se montre souple et agile. Son phrasé cadencé s’élance avec sûreté vers des aigus resplendissants. Tassis Christoyannis trépigne de bonheur dans le rôle de Ripardos, qu’il interprète le sourire aux lèvres, dégustant chaque mot et faisant même montre d’un brin de coquetterie dans son dernier air. Sa voix brillante au vibrato légèrement trop appuyé est maniée avec nuance et expressivité.
Patrick Kabongo et Loïc Félix, déjà complices dans Barkouf du même Offenbach à Strasbourg, offrent une paire de jumeaux drôlatiques et dont les timbres clairs et corsés sont assortis. Yoann Dubruque (le Marquis Don Henrique) affirme un phrasé gaillard et un timbre moelleux. Raphaël Brémard, hilarant notaire, chante le rôle Pedrillo d’une voix au métal blanc et mat. Philippe-Nicolas Martin met à profit ses quelques notes solistes pour exposer une voix noble au beau timbre lumineux. Diana Axentii manque de volume dans son introduction du troisième acte, mais elle compense par un timbre fruité et un phrasé fougueux dans son déluge de paroles qu’elle débite sans un regard pour sa partition.
Bien que n’ayant pas de lignes solistes chantées, Matthieu Lécroart, Jérôme Boutillier et Antoine Philippot se montrent à l’aise dans leurs personnages, mettant cette fois en valeur leurs talents de comédiens. Le Chœur de Radio France se montre quant à lui exalté, mais trop peu précis pour être compréhensible.
Après plusieurs rappels, le public s’en retourne ravi de cette drôle de redécouverte : nouveau succès pour les explorateurs lyriques du Palazzetto Bru Zane.
