Requiem et Amour sorcier aux Invalides
La fin de la saison musicale en la Cathédrale Saint-Louis aux Invalides résonne aux rythmes des mélodies espagnoles avec un cycle de concerts dédié à la musique ibérique qui fait écho à l’actuelle exposition temporaire au Musée de l’Armée – Picasso et la Guerre. L’Heure Espagnole (nom donné à ce cycle de concerts, d'après un opéra de Ravel qui n'est pas interprété ce soir) sonne ici avec deux œuvres disparates et à première vue incompatibles, païenne et sacrée : la suite du ballet L’Amour sorcier de Manuel de Falla et le Requiem de Maurice Duruflé, réunies sous le thème de la Guerre. La première, composée en pleine Première Guerre mondiale est à l’origine un ballet avec soliste mezzo-soprano & chanteuse flamenco dans le rôle d’une gitane, diseuse de bonne aventure. La seconde est une œuvre méditative basée sur les mélodies grégoriennes (plain-chant des moines) commandée par le Régime de Vichy mais achevée en 1947.
La mezzo Carole Marais, qui incarne la gitane sorcière, n’est pourtant pas une chanteuse flamenco. De ce fait, son timbre reste loin de la saveur espagnole, sa prononciation du texte demeure peu compréhensible, à l'image de sa faible articulation des ornements mélodiques. Par la suite, sa voix gagne en ampleur et se distingue de l’orchestre. Parmi les solistes du Requiem, Mathieu Waldenzik (baryton) manifeste une bonne projection et intonation. Il énonce les mots avec soin et se fait bien entendre par-dessus l’effectif instrumental (remarqué pour la finesse du tremolo des violons) et choral (l’appel et réponse avec les sopranos). Vers la fin de l’œuvre (Libera Me), il épanouit sa voix de poitrine, mais avec un sens de la mesure. Sa collègue mezzo-soprano Lucie Peyramaure entonne avec piété la prière Pie Iesu, Domine, dona eis requiem (Pieux Jésus, donne-leur le repos). Son timbre élégamment coloré résonne dans l’église, son intensité vocale étant dosée et en juste équilibre avec le chef et les instruments qui l’accompagnent. Les notes (et paroles) de cette supplication sont joliment articulées et tenues, invoquant tendrement la paix éternelle.
Les jeunes musiciens-étudiants qui forment l’Orchestre des Universités de Paris (O.C.U.P.) transmettent au public ces deux facettes opposées du programme proposé : la guerre et la paix, le paganisme et la chrétienté, le tourbillon de la vie et le repos du tombeau. Carlos Dourthé mène cette phalange avec assurance et autorité, déployant richesse des couleurs et délicatesse sonore, particulièrement remarquées chez les instrumentistes solistes. Le travail soigneux sur les nuances est notamment perceptible dans la section des cordes, élégante et tendre collaboration avec la pianiste ou les choristes. La fougue transportée par l’orchestre entier se désordonne cependant lorsque survient la rythmique irrégulière caractéristique de la tradition musicale espagnole. Quelques réticences dans les attaques des cors et des bois (au début du Lux Æterna) n'entachent cependant pas l’équilibre global du son orchestral, auquel se joignent les voix du Chœur (préparées par Guillaume Connesson) dans la deuxième partie de la soirée. La sérénité du Kyrie assied la prononciation du texte liturgique, attentivement entonné par l’ensemble des chanteurs. Les femmes s'y distinguent par un chant angélique et transparent, mais qui sait aussi pleinement emplir l’espace de la cathédrale. Les hommes gagnent graduellement en emphase avec Hosanna in excelsis deo.
Le concert se referme sur la délicate longueur d'une note tenue, réunion et rencontre des croisements vocaux et esthétiques précédents, suscitant l’admiration de l’auditoire.