Terfel Triomphal avec Tosca à Londres
Vittorio Grigolo n'est pas romain, mais il apporte un degré
certain d'authenticité au rôle de Cavaradossi, sans doute aidé par sa carrière précoce à la Chapelle Sixtine. Sa voix puissante soutenant un catalogue de techniques classiques de ténor plonge le public dans l'attente du légendaire "E lucevan le stelle" (comme la semaine précédente à Bastille en remplacement de Jonas Kaufmann). Fort sur les notes puissantes, Grigolo adoucit in petto (recueilli) dans les plus tendres piani, surtout dans le registre aigu. L'interprétation est aussi efficace sur le plan dramatique que musical.
Kristine Opolais est une Tosca expérimentée, qui chantait déjà ce rôle sur ces planches in loco en 2013 (entre autres grandes salles internationales) mais elle semble peu à son aise aux côtés de Grigolo, surtout dans le premier acte où elle est comme subjuguée par le drame. L'équilibre est bien meilleur dans le troisième acte (Grigolo se rapprochant également de son volume). Lorsque l'espace musical et vocal lui est laissé, Opolais offre un legato à travers la tessiture, une gamme de couleurs qui relie le premier acte à l'air "Vissi d'arte". Son jeu pousse l'énergique jusqu'au mélodramatique, notamment dans les échanges du second acte face au pouvoir arrogant de Scarpia/Terfel.
La cruauté de Scarpia, incarné par Bryn Terfel, est rendue encore plus convaincante, paradoxalement, par le fait qu'il livre sans effort ses interventions. Imposant sur scène sans indiquer le moindre signe de rédemption, Terfel répond sans cesse aux malheurs d'Opolais par une assise vocale continue jusqu'aux registres médiums aigus, avec un souffle puissant et d'une longueur diabolique. La production de Jonathan Kent place la plus grande partie de son action sur un balcon au-dessus de la scène sur laquelle il laisse toutefois Scarpia, juste au-dessus de l'orchestre, alors qu'il défie Tosca, le public, probablement Puccini et certainement Dieu lui-même : "Tosca, tu me fais oublier Dieu".
Terfel est secondé par Spoletta (Hubert Francis) et Sciarrone (Jihoon Kim), tous deux créant une aura menaçante, le ténor et la basse se combinant au baryton de Terfel pour créer des textures sombres et piquées. Angelotti est tenu par Michael Mofidian (membre du programme Jette Parker pour jeunes artistes) qui lui donne un juste désespoir ecclésiastique. Joshua Abrams ouvre le troisième acte avec précision et style dans le chant ingénu du berger. Le Sacristain interprété par Jonathan Lemalu équilibre l'élément bouffon et sévère pour permettre à Kristine Opolais de projeter une jalousie échevelée (qui suscite quelques rires du public). Lemalu a une basse élégante et agile qui sied au caractère de fouineur conservateur.
La production de Kent est élégante : le double niveau du Sant'Andrea della Valle au premier acte équilibre les créneaux austères du Castello Sant'Angelo dans le troisième. Les appartements à panneaux de Scarpia -qui mènent directement à la chambre de torture- sont un canevas pour le chantage, l'extorsion et le meurtre.
Alexander Joel dirige un orchestre maison en pleine forme. Les glissandi descendants du violon émergent de la texture et du timbre consommé des cuivres, une immense pédale de graves qui font trembler la salle, presqu'autant que Terfel.