La Traviata au Teatro Avenida de Buenos Aires : un cadeau d’anniversaire inattendu
L’ambiance festive des actes I et III de La Traviata se prête finalement bien à la célébration du vingtième anniversaire de Juventus Lyrica. La sobriété des décors (conçus par Gonzalo Córdova), complétés par des toiles de fonds photographiques, n’enlève rien à l’efficacité de la mise en scène d’Ana d’Anna. Le public qui remplit la salle complète celui de la fête qui se prépare en scène puisque les acteurs en plateau « flottant », rideau ouvert et mimant leurs activités de salon, forment un autre public, des hôtes accueillant les spectateurs, presque sans frontière entre l’espace de la scène et la salle du théâtre. Le rideau se ferme pour l’ouverture, qui découvre la direction d’orchestre fluide, coulée mais précise d’Antonio María Russo, et se rouvre sur un véritable tableau, festif et flamboyant, où chacun, dont les membres du chœur, est à sa juste place et d’où Violetta se repère avant même qu’elle ne commence à chanter, par une présence scénique qui surprend et attire à elle tous les regards, et bientôt l’ouïe de tous les spectateurs.
La soprano Carolina Gómez fait figure de "cerise sur le gâteau d’anniversaire" de cette pièce montée, pièce particulièrement exigeante pour le rôle principal de Violetta. La voix est vive, agile et claire. Le timbre surprend par sa douce rondeur, son caractère ambré et précieux, servi par un vibrato léger et discret. L’homogénéité impressionne sur toute la tessiture. Le raffinement dans les vocalises, l’ampleur du souffle et les morceaux de bravoure de Violetta défilent avec une facilité et une onctuosité déconcertantes, ravissant le public qui l’ovationne. L’aigu est toujours d’une justesse irréprochable comme la maîtrise des volumes. L’articulation des interventions de Violetta et de l’orchestre sont particulièrement soignées. La plénitude de l’orchestration se ressent par exemple sur Amami Alfredo par le jeu des timbales, équilibré. Après la déclaration d’Alfredo, le placement de la voix de la soprano avec la flûte dans la fosse, augure des duos avec son amant, qui est à son meilleur lorsqu'il dialogue avec elle.
Sebastián Russo est un Alfredo Germont assez introverti dont la voix, haut perchée, le rend crédible dans le rôle du jeune premier, candide dans ses mouvements et ses intentions, en particulier dans le premier acte. Si l’articulation est convenable, l’émission manque souvent d’ampleur et de profondeur pour imposer un timbre par ailleurs agréable et original, mordant sur les notes les plus aiguës mais trop souvent dur et tendu. Les effets de ses aveux le libèrent un peu. Plus convaincant dramatiquement et plus détendu vocalement à partir du deuxième acte, S. Russo s’investit dans son rôle sans toutefois réussir à emporter l’adhésion pleine et entière du public. Germont père est chanté par Esnesto Bauer. Sa voix de baryton est souple, élégante et précise mais manque aussi parfois de volume, l’autorité parentale s’en trouvant un peu égratignée en dépit d’un jeu théâtral plutôt investi, dont le public lui sait gré.
Le chant et le jeu de la mezzo-soprano Rocío Arbizu dans le rôle de Flora, l’amie de Violetta, sont hauts en couleurs. La voix est forte, le timbre d’une chaleur peu commune tandis que l’émission, particulièrement claire et audible, reçoit un accueil chaleureux. Elle assure à elle seule une bonne partie du succès d’un acte III sous le sceau (rouge) de l’Andalousie, relayé aussi par un couple de danseurs de flamenco (Lorena Barrionuevo et Brian Jésus Frones) fort appréciés dans une chorégraphie où le corps à corps est le pendant physique en mouvement et dédoublé du jeu psychologique d’attirance / répulsion entre Ernesto et Violetta.
Tous les rôles secondaires sont assurés avec détermination, ferveur et authenticité d’où ressortent les qualités vocales et dramatiques de María Almeida (Annina), Luis Fuentes Bustos (Gastone), Marcelo Iglesias Reynes (le baron Douphol), Felipe Cudina Begovic (le docteur Grenvil) et Leonardo Fontana (le marquis d’Obigny). Enfin le chœur tient un rôle de premier ordre, préparé par Hernán Sánchez Arteaga. À la présence scénique appréciable de ses membres correspond une grande homogénéité vocale derrière laquelle se décèlent de véritables talents individuels.
Le livret que signe Piave pour La Traviata de Verdi est inspiré de La Dame aux camélias de Dumas. Si le choix de La Traviata effectué par Ana d’Anna et sa troupe Juventus Lyrica fut déterminé par le langage des fleurs, le public ne saurait mieux lui souhaiter pour les vingt prochaines années ce que le camélia symbolise : la longévité, la fidélité et le bonheur.