La Clémence de Titus à l'Opéra de Liège
L'histoire mythologique grecque menée vers une idée d’utopie universaliste décontenance, dérange et bouscule les codes de cette œuvre et du public dans ces décors de contrées primitives, par-delà les jungles et sols poussiéreux vers un monde fantastique qui semblerait plus familier à La Flûte enchantée. Cette Clémence de Titus signée Cécile Roussat et Julien Lubek [qui répond à cet article avec humour dans les commentaires en bas de page, ndlr] questionne les codes de l'opéra, la magie et la beauté du réel, mais les désarticulant jusqu'à sembler vouloir faire oublier Mozart, la verve et la finesse de sa musique, riche et piquée. Le décor cirque et souk, entre psytrance et rave party entoure une foule à l'agitation générale, entre une tête de bœuf, des ongles de 20 centimètres, des bras de 10 mètres de long, une coiffe aussi longue qui se traîne et se coince dans le décor, des contorsionnistes, cyclopes et centaures.
Cette masse qui semble peser de tout son poids sur la musique n'empêche pourtant pas l’Orchestre maison, dirigé par de Thomas Rösner, de rendre avec acuité le foisonnement solaire, humaniste et vif du compositeur (qui mourra quelques mois plus tard). Entre humilité et richesse, le très large prisme des couleurs soutient les voix diverses mais unies par l'intensité pour faire triompher l'attention de la musique.

Anna Bonitatibus dans le rôle de Sesto brille d’une voix ornementée, puissante et affirmée. Femme emportée par l’amour, la mezzo-soprano italienne se déploie, tiraillée entre un romantisme passionnel, exacerbé et une tristesse sombre, soulignée de graves (malgré son costume mi-femme mi-bouc). Vitellia, interprétée par Patrizia Ciofi, que l’Opéra de Liège avait accueillie la saison dernière dans le rôle de Norma connaît quelques difficultés vocales (la voix légèrement soufflée semble réduite et peine dans les aigus comme dans les graves), mais le jeu confiant sert le rôle avec une sensibilité lucide. Puissante, acidulée et vive, la diction acérée joue de son charisme et dénote parmi le casting vocal.

Cecilia Molinari dans le rôle d’Annio se dessine d’une voix riche, élégante et mozartienne. Ornementée et pourtant naturelle, la mezzo lauréate du Prix international du bel canto Rossini dessine sans effort ses lignes en aigus clairs, en veloutés de graves et d’une belle humilité. Plus récitative, Veronica Cangemi semble entravée par son pesant costume (façon princesse Raiponce), les gestes et mouvements manquent de conviction malgré le rendu de partition, surtout dans les aigus à l'agilité baroque et solaire.

Tito, rôle de monarque sage et humain trouve en Leonardo Cortellazzi la finesse d’interprétation. Précise, latine et noble, la voix du ténor semble légèrement gutturale mais s’étoffe finalement pour un deuxième acte sensé. Légèrement en retrait, Publio et son costume d’homme-arbre a la voix cuivrée et corsée de Markus Suihkonen, précise et expressive à l'image des Chœurs de l'Opéra Royal de Wallonie-Liège, dont la ferveur austère soutenue offre un contrepoint rassérénant et salvateur à cette production.

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Bonjour Soline Heurtebise,
désolé que vous n'ayez pas aimé ce spectacle ! Un petit "droit de réponse", donc...
Personnellement, j'ai moins l'impression de trahir Mozart en mettant sur scène un centaure et un cyclope, qu'en y plaçant une carcasse de voiture, des tanks ou des uniformes de nazi - ce qui ne choque aujourd'hui plus personne, et surtout pas les critiques d'opéra. Bizarre ! Il me semble que chronologiquement, Mozart se situe après la découverte des centaures, mais avant celle de la Peugeot.
Surtout, lorsque je ferme les yeux et que j'écoute Mozart, je vois des Centaures, pas des tanks, pas un building d'acier, pas un décor abstrait auquel je ne comprends rien.
Par ailleurs, je suis très heureux de lire que notre mise en scène "questionne et désarticule " les codes de l'opéra, car à mon avis, sans aucune velléité révolutionnaire, l'opéra souffre justement de tous ces codes inutiles. Nous parlons de musique, de sensibilité, d'être un passeur entre une oeuvre ancienne et un public d'aujourd'hui, et je n'ai que faire de codes qui disent que la Clémence de Titus doit être montée avec 10 colonnes, un trône en marbre et une hallebarde. Dans ce cas d'ailleurs, il suffirait de faire tourner cette mise en scène-là, pas besoin de dépenser des sous et de polluer la planète pour créer un nouveau décor et une nouvelle mise en scène. Pourquoi faudrait-il des codes ? Qui les énonce ? Pour moi il y a Mozart & son librettiste, il y a le public de Liège, il y a le directeur de l'opéra qui nous fait confiance, et c'est auprès de ces 3 là que j'engage ma responsabilité de metteur en scène. Mozart ne m'a pas encore donné son retour, ça ne saurait tarder, mais, n'ayant pas été copieusement sifflé à la Première, je pense que le public ne s'est pas senti trahi par un manquement aux codes... De toute façon, s'il y a un syndicat qui énonce les codes pour chaque oeuvre, je ne suis pas adhérent, et je n'ai pas l'impression d'être le seul dans ce cas... Enfin, s'il y a bien un message dans le comportement de l'empereur Tito, c'est qu'il envoie formidablement balader Publio, son chef de la garde prétorienne, le représentant de la tradition idiote et du conservatisme à oeillère. S'il y a bien un message dans cet opéra de Mozart, c'est que les "codes", ça ne mène pas bien loin, et que c'est en s'en départissant qu'on montre le chemin de l'humanité et de l'avenir.
Quant aux termes de "psytrance et rave party", je n'ai malheureusement pas les "codes", ou du moins les références, pour les comprendre. Je crois qu'une rave party est une fête avec de la musique techno dans un champ, je ne vois pas trop le rapport avec notre travail. Si c'est la couleur violette de la colline qui vous a un peu effrayée, désolé encore, mais, en écoutant Mozart, même en me forçant, je n'arrive pas à voir des images glauques en noir et blanc (qui sont pourtant si aisées à monter sur scène). Je n'arrive pas à non plus à voir une scène vide avec une mise en scène exclusivement psychologique,où, si on n'a pas déboursé 150 euros pour être au premier rang, on a bien du mal à voir le soulèvement de sourcil génialement expressif du soliste. J'adore cette musique, mais si on la fige, qu'on la codifie, qu'on la rend sclérosée et hautaine, je m'ennuie, je m'endors, et elle me semble inaccessible. A l'inverse, en fermant les yeux, je vois un univers vivant, humain, contrasté, bariolé. Du coup, c'est ce qu'on a essayé de rendre avec Cécile dans cette mise en scène!
Quant à "l'agitation générale", waouh, quel délire! A part la marche de l'acte 1 ou, au lieu de faire entrer 30 choristes avec une hallebarde, nous faisons descendre 7 acrobates sur une corde, et la scène de l'incendie du Capitole, qui est quand même censé être une sorte de cataclysme, que nous concrétisons par quelques bonds sur scène, le plateau est, à mes yeux, fort statique et bien calme le reste du temps! Evidemment, si vous comparez à une version de concert, je confesse qu'on a été obligé de concevoir quelques déplacements, pour faire arriver les solistes sur scène et les faire repartir...
Surtout, je suis heureux d'avoir vu dans la salle des jeunes spectateurs suivre le spectacle et profiter de cette belle musique sans avoir à se sentir humiliés par le metteur en scène, parce qu'ils n'ont pas les "codes", parce qu'ils viennent à l'opéra comme on vient au théâtre ou au cinéma, pour voyager un peu, sans savoir où ils vont. Et c'est pour ce public là que nous avons pensé ce spectacle, donc tout va bien, mission accomplie. Pour les vrais amateurs de codes, d'ailleurs, même pas besoin de se déplacer à l'opéra: soyons francs, je pense que la lecture d'une bonne critique bien acide leur procure encore plus de plaisir!
Belle route codée à vous et à une prochaine !
Julien Lubek, co-metteur en scène.
Totalement d'accord avec vous, Monsieur Lubek !
Votre mise en scène est d'un onirisme puissant, et nous change de toutes les Clemenza figées et psychologiques qui passent souvent à côté de la dimension incroyablement novatrice de ce dernier chef d'oeuvre Mozartien.
Félicitations et continuez ainsi!
François G. Dupont
Nous vous remercions pour votre commentaire et avons ajouté une mention dans notre article afin d'inviter nos lecteurs à en prendre connaissance.
Bonne continuation.
Merci Damien Dutilleul pour cette marque d'honnêteté intellectuelle qui vous honore ! Bonne continuation également, Julien Lubek.
Olyrix