Notre-Dame de Paris chante encore
Loin des errements géopolitiques qui agitent les liens entre France et
Royaume-Uni, le maître-mot de ce concert consacré à la musique
sacrée anglaise est l’harmonie. En effet, avec un
programme qui recouvre près de cinq siècles, les enchaînements
entre les différents morceaux, surprenants de fluidité, tissent une
longue toile qui laisse la place non pas à de brusques variations
stylistiques, mais davantage au
talent personnel des musiciens et des chanteurs. Tout au long du
concert, ces derniers évoluent à travers l’église Saint-Séverin,
investissant l’espace et ses particularités (avec un très intéressant jeu d’écho dans le canon Perspice Christicola). Ainsi, l’ouverture avec la
chanson Ma
viele
fait peu à peu apparaître musiciens et chanteurs dans une
déambulation inspirée, et assurément nostalgique de Notre-Dame,
surtout pour cette ouverture écrite par Gautier de Coincy
(1177-1236), connu pour ses Miracles
de Nostre Dame,
et qui précède Vide
prophétie/Viderunt omnes
(écrit de l’École de Notre-Dame).
Si l’ensemble apparaît donc très souple, la performance vocale en elle-même souffre d’une justesse parfois très aléatoire et qui empèse un peu de belles envolées, notamment celles des sopranos, dont la voix mure et chaude sort du lot. De manière générale, les graves, altos et basses, apparaissent en retrait, comme dans le motet qui met bien davantage en valeur le jeu très rythmé, ample et chaud, plutôt que le dialogue. Les basses s’affirment alors plus dans des partitions concernant uniquement les voix masculines, comme dans le motet O mors, moreris/O Vita/Mors, qui révèle des timbres larges et permet l'harmonie avec les musiciens.
Ces derniers mettent en exergue le travail effectué par Christophe Coin auprès de ses élèves du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris. Si Christophe Coin se différencie par une virtuosité dans le jeu du pardessus de viole, les autres instrumentistes remplissent leur rôle avec efficacité. La principale qualité de l’ensemble instrumental tient en effet dans sa capacité à briller dans les interludes, relativement présents, mais aussi à laisser la place aux voix, avec discrétion mais sans absence. Si le chœur est quelque peu déstabilisé par la présence des musiciens, comme dans I call and cry to thee, o Lord de Thomas Tallis (1505-1585), avec un début assez peu en place, la direction engagée de Sylvain Dieudonné permet de retrouver rapidement la qualité des voix, par des aigus puissants et des variations chromatiques tout à fait maîtrisées, permettant aux voix féminines comme celle de la soprano Hermione Bernard de se détacher. Dans un registre plus grave, le jeu de l’alto Orelle Pralus a la voix grave et chaude. Son timbre aux tendances suaves s’exprime alors dans le Sing unto the Lord d’Orlando Gibbons (1583-1625).
L’acmé de cette heure et demie de concert quasiment sans interruption est constituée par Sleep fleshly birth de Robert Ramsey (1590-1644), berceuse jouée et chantée avec émotion et subtilité, malgré le niveau technique élevé de la pièce : la tension est amenée avec finesse par le chef, les harmonies et variations plaisamment utilisées. Dans cette messe musicale qui célèbre, face aux sourires des musiciens et chanteurs et à leur prise de plaisir visible dans l’exécution, cet hymne à la musique sacrée anglaise et tout simplement, à la musique de Notre-Dame, ressuscitée.