Kiss me, Kate fait grimper la température du Théâtre du Châtelet
Fidèle au Châtelet, sur les planches duquel il monte depuis sept ans les œuvres de Sondheim, Lee Blakeley s'attaque à l'un des derniers chefs d'oeuvre de Cole Porter : Kiss me, Kate. Déployant tout le génie de Porter tant dans l'écriture -sans cesse à double sens- que dans la musique, Kiss me, Kate remporte un franc succès lors de sa création en 1948 à New York, enchaînant ainsi 1033 représentations.
Fela Lufadeju interprétant "Too Darn Hot" © Théâtre du Châtelet - Vincent Pontet
A la mise en scène, Blakeley réalise un travail colossal, sagace mais parfois excessif. Plaçant l'action en 1948, il accentue les traits comiques de l'opéra en misant tantôt sur la répétition, tantôt sur l'effet surprise, mais aussi sur la mise en abyme. Blakeley s'en donne à cœur joie dans les allers-retours entre les coulisses et la scène, alternant ambiance italienne et américaine, tout en ménageant les longues plages instrumentales de l'oeuvre. Des idées ingénieuses, comme le décor mobile des coulisses, le défilé des miss italiennes lors de « Where Is the Life That Late I Led ? » de Petruchio, en côtoient d'autres plus désuètes, telles que la projection sur écran géant des cartes postales italiennes illustrant le « We Open in Venice ». D'autres encore ressemblent bien étrangement au Singin'in the Rain de Robert Carsen qui avait lieu quelques mois plus tôt.
Les chorégraphies signées Nick Winston émerveillent et exploitent l'excellent niveau de la distribution. Le périlleux « Too Darn Hot » qui allie swing et lindy hop, est jubilatoire et sublimé par Fela Lufadeju (Paul). Le chorégraphe semble d'ailleurs y glisser un clin d’œil à la scène du réverbère exécutée par Gene Kelly dans Singin'in the Rain, qui vola d'ailleurs à Cole Porter le désormais culte « Make 'em Laugh ». Brigitte Reiffenstuel apporte à l'ensemble d'innombrables costumes qui en mettent plein la vue pour, selon le goût de chacun, le pire et le meilleur.
Christine Buffle (Lili Vanessi/Katharine) et David Pittsinger (Fred Graham/Petruchio) © Théâtre du Châtelet - Vincent Pontet
Côté distribution, Christine Buffle continue son incursion dans le registre de la comédie musicale en campant le rôle de Lili Vanessi et de Katharine. Issue de l'opéra -et cela s'entend, elle a bien fait de persévérer dans le domaine tant ses talents d'actrice s'expriment ici. C'est ainsi avec un plaisir non feint qu'elle campe une mégère aussi insupportable que caractérielle, jetant au visage de Petruchio tout ce qui lui tombe sous la main.
David Pittsinger semble plus à son aise en Fred Graham qu'en Petruchio. Elegant et sensible dans son interprétation de l'homme encore amoureux, son Petruchio, assez statique, peine à forcer le trait du macho qui dresse sa femme. Tentatrice hors pair, femme émancipée, Francesca Jackson magnifie le rôle de Loïs Lane comme celui de Bianca, sa voix suave s'épanouissant à merveille dans les aigus. Bien que son rôle reste discret dans l'oeuvre, Alan Burkitt livre un Bill et un Lucentio de bonne facture.
Martyn Ellis et Daniel Robinson, duo de malfrats truculent © Théâtre du Châtelet - Marie-Noëlle Robert
La cerise de ce gâteau déjà délicieux, c'est bien sûr le duo formé par Martyn Ellis et Daniel Robinson. Chacune de leurs apparitions amène son lot de fous rires dans le public. Drôlissime, le numéro bien huilé des deux compères, façon Laurel et Hardy, atteint son apogée lors du génial « Brush Up your Shakespeare », copieusement applaudi par un public déjà conquis.
La plus grande réjouissance de la soirée vient sans nul doute de la prestation livrée par l'Orchestre de Chambre de Paris placée sous la direction de David Charles Abell. Revenant au cœur de la partition de Cole Porter, la libérant de ses erreurs de copie, l'orchestre réalise un travail d'orfèvre bien salutaire. Le « Too Darn Hot » n'a jamais sonné aussi juste et c'est avec une immense joie que l'on entend le génie de Cole Porter se déployer dans l'antre du Châtelet.
Kiss me, Kate, mise en scène de Lee Blakeley, direction musicale de David Charles Abell, jusqu'au 12 février au Théâtre du Châtelet, réserver mes billets (dès 29 €).
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