L’école de chant francophone célèbre La Flûte enchantée à Bastille
Le metteur en scène Robert Carsen (absent en ce soir de première pour cette reprise) donne une place centrale au rite dans sa mise en scène esthétique de La Flûte enchantée de Mozart à l’Opéra Bastille. Si Tamino doit dans le livret traverser le feu et l’eau pour rejoindre les Initiés, il doit ici en plus sortir d’abord d’un sépulcre puis y redescendre pour y trouver le silence. Pamina est elle aussi initiée, sa mère, complice de Sarastro, se jouant d’elle pour la mettre à l’épreuve : n’étant pas animée de rage, le célèbre air de la Reine de la Nuit manque dès lors d’enjeu et d’intensité. Surtout, son interprète, Jodie Devos, est elle-même mise à l’épreuve : les voix des techniciens interpellant en coulisse et le bruit des décors déplacés manquent en effet de voler la vedette à ses vocalises durant son air du second acte ! Quand à Papageno, si effrayé par la mort, c’est au milieu des cercueils qu’il doit promettre fidélité à une femme-squelette pour ne pas finir sa vie enfermé au pain sec et à l’eau. L’humour de l’œuvre est bien complété ici par celui des artistes : le public rit de bon cœur à plusieurs reprises, notamment devant les facéties de Papageno. La poésie de l'œuvre est également présente, notamment dans les vidéos montrant un bois traverser les saisons.
Julien Behr reprend le rôle de Tamino déjà chanté in loco dans cette production, offrant un jeu dynamique et une voix bien couverte (mais très audible malgré tout) dont le timbre présente une texture de sable chaud aux reflets orageux, balayé par un souffle maîtrisé. Pour son premier rôle d’envergure à Bastille et sa première Pamina, Vannina Santoni, qui triomphait il y a peu dans sa prise du rôle-titre de la Traviata au TCE, garde l’intensité théâtrale qui la caractérise et qui apparaît évidente dès son long regard face caméra et projeté sur l'immense fond de scène, qui séduit irrémédiablement Tamino. Cette qualité se confirme dans l’expressivité de sa voix fruitée, maniée avec des trésors de nuances, du piano au forte, intenses, toujours avec musicalité.
Florian Sempey retrouve en Papageno un rôle qu’il connaît bien (nous l’avions interviewé lors de la dernière reprise de cette production) : en showman volubile, il entre guilleret par le fond de la salle, échevelé et débraillé, serrant la main d’un spectateur. Sa voix brillante et éclatante s’épanouit pleinement en dehors de graves quelque peu serrés, notamment dans les suaves aigus qui le rendent émouvants dans son air final. Chloé Briot fait enfin ses débuts à l’Opéra de Paris (elle nous en parlait en interview), en Papagena. Mutine, elle apporte sa fraîcheur, et projette une voix fine et pure, aux aigus effilés et légèrement vibrés.
Jodie Devos dévoile au public parisien une Reine de la Nuit qui est devenu son rôle-signature. Sa voix pure dont les aigus savent garder de la rondeur grâce à de larges résonateurs, voltige avec précision (à part un aigu hésitant) dans les célèbres vocalises du rôle. Par son vibrato, elle appuie certains mots ou intentions, révélant là des qualités théâtrales bien exploitées dans cette production. Nicolas Testé tient la noble stature de Sarastro, ainsi que la souplesse du phrasé. Ses médiums sont ronds et bien projetés, ses aigus sont clairs, mais il lui manque les graves les plus extrêmes de la partition.
Chiara Skerath, Julie Robard-Gendre et Élodie Méchain sont trois Dames de luxe, bien appareillées vocalement et synchronisées rythmiquement. La Première offre une voix pure et acidulée, une projection directe et un vibrato rapide. La Deuxième dispose d’un médium électrique à l’intense vibrato. La Troisième creuse la douce profondeur d’une contralto. Mathias Vidal apporte à Monostatos sa voix claire projetée vigoureusement, et son jeu nerveux, dressant un méchant vil et drôle (notamment sous l’effet des clochettes de Papageno), à l’accent français prononcé. Martin Gantner en Orateur émet une voix profonde et claire, bien articulée. Tomislav Lavoie, à la puissante voix de baryton, et Vincent Delhoume, au ténor clair et bien projeté, campent les deux Prêtres tandis que Martin Homrich, au ténor presque wagnérien, et Luke Stoker, au timbre mat, au phrasé autoritaire et au fort vibrato, forment un duo d’Hommes d’armes. Les trois enfants issus des Aurelius Sängerknaben Calw se montrent très justes, en place dans leurs chorégraphies, et assortis vocalement.
Henrik Nánási dirige l’Orchestre de l’Opéra de Paris avec beaucoup d’enthousiasme : il chante avec les solistes, mime les intentions souhaitées et sourit lorsqu’une nuance le ravit. Le tapis délicat des violons entraîne l’ensemble des musiciens dans une interprétation subtile, du hautbois infiniment nuancé à la flûte enchanteresse. Quant au Chœur, il se montre bien en place, apportant la douceur attendue dans cette œuvre.
Devant l’accueil enthousiaste du public, Julien Behr lève le poing avant d’emporter Vannina Santoni dans ses bras, preuve de la bonne entente qui règne au sein d'une distribution homogène dans l’excellence.