Triomphe pour le premier récital français de Marina Rebeka, à l’Éléphant Paname
Difficile
de faire plus éclectique que le programme choisi par la soprano
lettone : le répertoire allemand (trois Lieder de Schubert :
Die Forelle, Nur wer die Sehnsucht kennt, Gretchen am
Spinnrade, ainsi que le premier air d’Elisabeth de Tannhäuser)
y côtoie la mélodie et l’opéra français (trois mélodies de
Fauré, l’air des bijoux de Marguerite –malheureusement amputé
de la ballade du roi de Thulé– auquel s’ajoute la valse de
Juliette de Gounod donnée en bis), ainsi que les répertoires russe
(Rachmaninov) et même letton, avec les rares et très belles
mélodies d’Alfrēds Kalninš (1879-1951), Jānis Mediņš
(1890-1966) et Janis Ķepītis (1908-1966). Quant au répertoire
italien, si fréquemment chanté sur scène par Marina Rebeka, il
est ce soir représenté par le seul boléro des Vêpres
siciliennes (version italienne) proposé comme bis.
Plusieurs éléments convergent pour expliquer le retentissant succès remporté par la chanteuse. Sans doute son apparition radieuse dans une magnifique robe anthracite y contribue-t-elle, mais surtout ses talents d’interprète et de musicienne. Marina Rebeka est avant tout une chanteuse d’opéra, et même si les trois quarts des pages proposées sont des mélodies, elle les interprète presque toujours avec la puissance (la soprano chante à pleine voix comme si elle se trouvait sur le plateau de Bastille !) et la force expressive qu’elle mettrait dans une page d’opéra lyrique ou dramatique. Ce choix se révèle plus pertinent pour certains morceaux que pour d’autres : une interprétation « opératique » de Gretchen am Spinnrade se conçoit tout à fait, et le figement soudain de Marguerite sur le mot « Kuß » (baiser), la reprise hallucinée du motif initial, l’accelerando saisissant des dernières mesures, l’aigu flamboyant sur le « vergehen » (en mourir) final émerveillent. De même, le Toujours de Fauré délivre un dramatisme puissant particulièrement bienvenu. En revanche, les deux premières mélodies du musicien français (Le Papillon et la fleur et surtout Après un rêve) s’accommodent moins bien de ce traitement et souffrent presque d’un trop plein d’incarnation. Le soin apporté à l’articulation est par ailleurs constant, avec notamment un français d’une grande pureté dans Faust ou Roméo et Juliette (moins pour Fauré). Quant à l’art du chant à proprement parler, c’est sans doute ce qui impressionne le plus les spectateurs : la voix est d’une santé insolente sur toute la tessiture (seuls quelques graves sont projetés avec un peu moins de facilité), les aigus rayonnant de force et de facilité. Le souffle n’est pas infini, n’osant pas certains enchaînements legato de plusieurs vers, mais constamment contrôlé cependant, les vocalises précises –qu’il s’agisse des rires pleins de délicatesse de Marguerite ou des impressionnantes descentes vers le registre grave du boléro des Vêpres. Antoine Palloc, un peu plus à son aise dans le raffinement et la délicatesse que dans les élans emphatiques qui concluent l’air des bijoux ou ouvrent celui d’Elisabeth propose un accompagnement attentionné, plein de goût et de musicalité, et bénéficie pour les deux bis de la complicité inattendue d’Yvan Cassar à quatre mains.
Une telle maîtrise, par une seule et même interprète, de répertoires aussi variés assure un accueil chaleureux à la soprano, qui sera de retour en France en septembre prochain : à Toulouse, pour Norma.