Inédits de Wagner par les grands élèves du Conservatoire de Lyon
En 1838, alors que Richard Wagner (1813-1883) est Directeur musical du théâtre de Riga, on lui commande une comédie légère inspirée du style italiano-français. Le public de cette petite ville provinciale en est friand et le jeune chef d’orchestre est habitué à ce répertoire, lui qui a déjà composé deux années plus tôt un opéra léger, La Défense d'aimer. S’inspirant d’un conte des Mille et une nuits, le livret de son nouveau projet Les hommes sont plus rusés que les femmes ou L’Heureuse famille des ours est entièrement adapté par Wagner, qui place l’intrigue dans un contexte qui lui est contemporain : le joaillier Julius tombe amoureux de la belle Leontine qui, pour lui prouver que la maxime « Les hommes sont plus rusés que les femmes » est fausse, lui joue un amusant tour. Le pauvre Julius se retrouve alors marié à la monstrueuse fille du Baron von Morgennebel mais se tirera d’affaire en retrouvant son père, montreur d’ours, et son frère, déguisé en ours. Bien qu’il n’y ait aucune des références mythiques ou médiévales habituelles chez Wagner, il est par contre aisé de lire des références autobiographiques, telle la séparation fraternelle, la quête du père, la recherche d’identité. Le livret terminé, Wagner s’attelle à l’écriture de la partition mais s’arrête rapidement, regrettant de composer « de la musique à la Auber » ou à la manière d’Adolphe Adam, se sentant appelé à de plus hautes ambitions esthétiques. Le livret subsiste et il est même publié dans l’édition des œuvres complètes de Wagner, cependant les quelques esquisses de la partition semblent alors perdues. Il faut attendre la découverte d’un collectionneur privé en 1994 pour que l’on s’intéresse à cette musique d’un jeune compositeur, cherchant avec enthousiasme son identité musicale parmi les références de son temps, comme les œuvres de Rossini, d’Auber ou de Spontini. Le compositeur britannique James Francis Brown s’attelle à reconstituer et orchestrer les deux numéros découverts, travail présenté en 2007 au Linbury Studio du Royal Opera House et ce soir, pour la première fois en France, à la Bourse du travail de Lyon, avec également l’Ouverture du Roi Enzio (1832), une des toutes premières œuvres du jeune Wagner, alors fort influencé par les ouvertures de Beethoven.
En introduction à cet événement, l’Orchestre symphonique Lyon-Clermont, qui réunit les grands élèves des Conservatoires régionaux des deux métropoles, propose un programme intitulé « Wagner avant Wagner », faisant entendre différentes œuvres pouvant donner un certain éclairage sur les inspirations du jeune compositeur en recherche de style. Les jeunes musiciens sont sans doute un peu timides en tout début des Hébrides de Felix Mendelssohn (1809-1847) mais font rapidement la preuve de leur travail de nuances, particulièrement les cordes. Il aurait été appréciable que les vents apportent autant de soin à une justesse, fort douteuse dès l’accord. La direction de Patrice Couineau, Directeur du CRR de Clermont-Ferrand, se montre souple, ses gestes caressants accompagnent les phrasés aux couleurs pastel de cette ouverture impressionniste, mais manquent sans doute de précision pour soutenir les contrastes plus bruts et dramatiques de celle du Roi Enzio. La Moldau de Bedrich Smetana (1824-1884) souffre alors d’une certaine lourdeur. L’attention manque sur les parties intermédiaires qui donnent les mouvements fluviaux à la musique, les parties mélodiques n’ayant qu’à se laisser porter par ces flots.
L’introduction « Wie prächtig, zierlich un reich » (Que de splendeurs, que de merveilles et de richesses) de L’Heureuse famille des ours est l’occasion d’entendre le Chœur du CRR de Lyon, préparé par Xavier Olagne, très vivant, assuré, et plutôt homogène, bien qu’il soit disposé dans la salle. Le travail du texte comme du jeu est notable et très appréciable. Après ce pétillant numéro, le duo de Julius et Léontine « Von Viel Geschmack und Schönheitssinn » (Que de beautés et que de goût) semble bien plus intéressant en ce qui concerne l’écriture de Wagner, dont on perçoit une inspiration rossinienne (les répétitions de motifs entre autres traits) mêlée à une autre plus personnelle, en gestation, comme quelques effets expressifs par de subtils chromatismes. La soprano Alix Durand Saint-Guillain fait entendre un timbre clair et agréable sur toute la tessiture, soutenu par un vibrato ample. Ses mélismes sont encore imprécis et son interprétation gagnera assurément en assurance, lui permettant ainsi une meilleure attention qui évitera les décalages avec l’orchestre. Le ténor Arthur Cornélio montre une voix légère, à l’expression et à l’investissement sans doute idoine pour des rôles d’opérette ou d’opéras-comiques. Le soin de la diction est net. Il reste à asseoir le soutien et la gestion du souffle afin d’assurer les aigus, vite très étroits, voire désagréables.
Cette découverte d’œuvres de jeunesse de Wagner révèle un aspect tout à fait intéressant du compositeur, montrant ses qualités d’assimilation des styles de son époque et la gestation d’une personnalité, encore en recherche d’identité mais, visage méconnu du génial Wagner, tout à fait enthousiaste.