Nadine Sierra et Benjamin Bernheim dans une brûlante Manon par Olivier Py à Bordeaux
Le timbre pur de Benjamin Bernheim incarne l’âme innocente du Chevalier des Grieux qui croit encore à l’amour, à la beauté, en Dieu, ainsi qu’en sa capacité à sauver une demoiselle en détresse. Ses aigus sont virils et radieux, sans la moindre trace de stress. Plus la soirée avance, plus le public découvre et déguste ce véritable ténor lyrique à l’italienne mais aussi authentiquement français par la subtilité musicale et la sensibilité linguistique. Son premier air, "En fermant les yeux", séduit par la tendresse des pianissimi, des aigus en voix de tête. L’air du troisième acte "Ah fuyez douce image" (avec des corps dansant nus derrière lui) profondément ressenti, entre désespoir et prière a une infinité de nuances et d’inflexions, mais surtout un legato jusqu'aux sommets de sa ligne, de son art, de l’extase du public.
La lecture d’Olivier Py (huée par une bonne partie du public) semble soutenir (au) mieux la musique dans la scène de Saint-Sulpice : plus Manon est réellement perfide, plus la lutte pour le cœur du Chevalier Des Grieux est poignante. Sa prière : "Pardonnez-moi, Dieu de toute-puissance" avec son timbre pur à déchirer le cœur fait penser à une Marguerite menacée par le diable, priant pour sa propre vie. Le duo "N’est-ce pas ma main" empli d’émotions déchirantes fait se fondre les voix de Bernheim et de Sierra l’une dans l’autre, s’entre-inspirant, pour une scène brûlante.
Le reste de la distribution excelle uniformément. Avec son soprano d’une clarté de petites cloches, Olivia Doray mène la danse précise rapide et piquée des trois comprimari féminins à la grande précision et cohésion (Poussette, Javotte et Rosette). Adèle Charvet (très appréciée dans cette salle avec Le Barbier de Séville) pose un grave opulent et souple, Marion Lebègue -également mezzo- déployant un caractère sombre et soyeux.
Le baryton Alexandre Duhamel (Lescaut) brosse un cousin raide et hypocrite à souhait. Son air "en l’honneur de la famille" est particulièrement odieux, vu ce qu’il fait subir à sa cousine, mais sa voix est suave et mélodieuse, colorée et soignée. Philippe Estèphe (Monsieur de Brétigny), baryton un peu plus léger, aux très jolis aigus, joue un Brétigny presque sympathique (et assez svelte pour se cacher sous le lit de Manon et Des Grieux). Damien Bigourdan chante Guillot de Mortfontaine avec une voix de ténor parfois blanche, mais une grande partie de son rôle est parlée : il déclame ses répliques avec ce qu’il faut d’obséquieux et de visqueux. Laurent Alvaro (Comte des Grieux) est chevaleresque et élégant, chantant "Épouse quelque brave fille" avec un généreux baryton paternel, chargé d’émotion et de tendresse. Antoine Foulon dans le rôle de l’hôtelier, chante assez pour révéler la projection de son baryton. Pierre Guillou mérite également une mention pour sa prestation comme premier soldat, ténor d’une couleur barytonale.
Les Chœurs de l’Opéra impriment vigueur et richesse à leur son, réalisme à leur jeu théâtral et honnêteté à leur implication. Sous la baguette attentive et inspirée de Marc Minkowski, l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine joue avec enthousiasme et abandon mais toujours beaucoup de précision. L'ovation du public et le chœur de bravos adressés à toutes les forces musicales sont rarement à ce point unanimes.