Bach par Damien Guillon, chemin vers la lumière au Temple du Foyer de l'Âme
La
sobre façade de la paroisse réformée de la Bastille contraste
avec l’intérieur du temple à l’esprit Art Nouveau et à la
grande verrière qui illumine les lieux. C’est ce Temple du Foyer de l'Âme que Damien Guillon a choisi pour interpréter le
programme de son nouveau disque enregistré pour Alpha avec son
ensemble Le Banquet Céleste et l’organiste Maude Gratton. Cette
dernière joue d’ailleurs l’orgue des lieux, un superbe
instrument d’excellente facture (Cavaillé-Coll), dont la
restauration complète s’est achevée courant 2009. Année
2009 qui a également vu la naissance de l’ensemble baroque Le Banquet Céleste.
Le programme offre deux cantates : Ich habe genug (Je suis comblé), initialement écrite pour voix de basse en 1727 mais adaptée par Bach lui-même pour la voix d’alto, avant Gott soll allein mein Herze haben (Dieu seul doit posséder mon cœur) composée en 1726 dès son origine pour la voix d’alto, convenant notablement à Damien Guillon et lui permettant ainsi de montrer l’étendue de sa maîtrise de la rhétorique baroque.
Immédiatement après l’introduction expressive du hautbois de Patrick Beaugiraud, le timbre du contre-ténor Damien Guillon s’empare de l’auditoire en reprenant la mélodie sur les mots Ich habe genug. La chaleur de son médium enveloppant est opportunément accentuée par l’implantation du chanteur et de son ensemble à la tribune. Ainsi enveloppée, sa voix ductile peut se déployer sans avoir à forcer une projection puissante et lumineuse dans l’aigu et soutenue dans les parties les plus graves de la partition, les notes les plus basses étant crânement assumées même sur les longues tenues de l’aria Schlummert ein, ihr matten Augen (Endormez-vous, yeux fatigués). La conduite du souffle du chanteur, tout en longueur, en maîtrise et en intelligence, lui permet une multiple palette d’expressions, du sourire de l’homme comblé à l’introspection fébrile de l’âme du croyant. Seul le dramatisme et le large ambitus utilisé par Bach dans le court récitatif sec Mein Gott ! Wenn kömmt das schöne ? Nun ! (« Mon Dieu ! Quand viendra la beauté ? 'Maintenant' ! ») semblent prendre le contre-ténor au dépourvu. La voix perd alors un peu de son mordant et de son expressivité. Le chanteur gomme bien vite cette relative faiblesse dans le joyeux et dansant air final qui met en valeur son art de la vocalise et des appuis.
Les dix années de cheminement du contre-ténor et de son ensemble avec la musique du cantor trouvent -avec la seconde cantate au programme- un parangon de lecture contrapuntique et harmonique lié à une expressivité toujours humble, au service de l’œuvre. Le travail du chanteur sur le contrôle du vibrato ou l’ornementation et la diction est exemplaire : sons droits et sons vibrés, mordants, appogiatures et trilles, legato, vocalises et inégalités, consonnes occlusives distinctes et percutantes, variations de couleurs et d’ouvertures sur les voyelles.
Le Banquet Céleste participe lui aussi pleinement à la réussite de ce concert. Les instrumentistes font preuve d’une grande complicité. Justesse, équilibre, écoute mutuelle et échanges de regards rieurs alliés à une maîtrise technique évidente, autant d’ingrédients réunis pour accompagner Damien Guillon. L’organiste Maude Gratton déploie l’intelligence de sa lecture contrapuntique dans les Chorals, Prélude et Fugue au programme, choix des registrations, variétés des attaques et phrasés.
Le concert se termine sur un bis du premier air de la cantate Ich habe genug (Je suis comblé). Le public semble de cet avis et reprend sa route, ravi. Les quelques coupures d’électricité qui ont émaillé ce concert n’auront su assombrir les chemins de cette lumineuse soirée.