L'Instant lyrique de Stéphanie d'Oustrac, Bastille dans L'Éléphant (Paname)
Le lieu et l'organisation du programme sont toutefois savamment agencés pour permettre à une telle voix de se déployer intensément, avec ou sans retenue. Les morceaux sont justement répartis afin de créer deux montées lyriques, partant de mélodies de Poulenc (compositeur dont d'Oustrac est l'arrière petite-nièce !) vers son intense monologue La Dame de Monte-Carlo. Ce sont ensuite Debussy et Baudelaire qui mènent vers les fantaisies lyriques de Ravel (L’Enfant et les Sortilèges ainsi que L’Heure espagnole) puis le drame Werther (Goethe et Massenet).
La dizaine de rangées pour les spectateurs placés à quelques mètres de la mezzo permettent d'apprécier dans le détail la suave sensualité mais à la fois affermie de sa prosodie (c'est d'ailleurs avec cette même qualité délicatement surannée qu'elle présente chaque morceau du programme comme une speakerine de la radio-télédiffusion française). La "piste aux étoiles" de l'Éléphant Paname, circulaire, laisse aussi bien tourner les nuances intimistes que les emportements lyriques (bien plus fréquents chez d'Oustrac). Plus fréquents mais préparés grâce à un soutien sûr et une science du phrasé musical (que même les petits trous de mémoire ne sauraient faire buter). D'autant que la voix conserve ses qualités lorsqu'elle prend du volume (en intensité comme en épaisseur sonore). Le pianiste Antoine Palloc, habituel accompagnateur des lieux, toujours très appliqué sur sa partition renforce la cohérence du concert, en étant lyrique dans les mélodies, mélodieux dans le lyrisme des airs d'opéra (qui concentrent un orchestre sur un clavier, conservant ici des contrastes de couleurs, dialogues des mains et des voix).
Le chant s'épanouit pleinement sur les sommets lyriques, en particulier la note conclusive de La Dame de Monte-Carlo (digne de Bastille ou au moins du Palais Garnier, voisin de L'Éléphant Paname), idem pour "Ah ! La pitoyable aventure". Cependant, dans ces formes au lyrisme mesuré, d'Oustrac est contrainte de diviser sa voix en deux : un grave plus parlé mais un aigu déployé (force est de constater qu'elle sait passer de l'un à l'autre plusieurs fois dans la même phrase, pour suivre les riches mouvements mélodiques du style). L'épanouissement entier viendra donc conclure le programme par un Air des lettres digne de ses récentes prestations à Nancy (du fond de sa petite chambre, cette Charlotte voit la mort au loin, comme Cassandre). L'artiste rappelle en outre un autre souvenir poignant (aixois), interprétant Carmen en bis ("Sous les remparts de Séville"), prolonge même les "espagnolades" dans un tout autre registre et rappelle sa voix suave pour une berceuse (Nana par Manuel de Falla). Sans oublier "Tu n'es pas beau, tu n'es pas riche" (air de La Périchole d'Offenbach) pour combler la richesse du programme et le public.