Les abysses de la Mélancolie avec Les Cris de Paris aux Bouffes-du-Nord
Les lumières, toutes éteintes aux prémices du spectacle, installent le public des Bouffes-du-Nord dans la nuit, moment idéal où s’exprime cette « bile noire » qu’est la mélancolie. Fil directeur du programme, elle apparaît dans des compositions d’une même période (au tournant des XVIème et XVIIème siècles) mais d’auteurs différents. William Byrd, Carlo Gesualdo, John Wilbye, Orlando Gibbons, entre autres cohabitent ainsi le temps d’une soirée pour exprimer cette même poigne au cœur. Et par-delà le fil thématique du concert, c’est l’audace d’écriture qui se trouve honorée.
Ce chemin nocturne est conduit par une scénographie appréciée. Les fils de lumière tamisés, la configuration harmonieuse des interprètes (le chef Geoffroy Jourdain avec face à lui l’effectif en arc de cercle, et/ou la viole soliste) inscrivent en effet le programme dans une narration. Si l’effectif des chanteurs est par moments mobilisé dans son ensemble, celui-ci se reconfigure tout au long du spectacle.
Statiques dans leur posture, les chanteurs portent une voix animée au cours d’une prestation de haute tenue. Ensemble, ils montrent homogénéité et intention commune, et font corps dans l’expression à quatre, à cinq ou à dix voix, dans les longues tenues comme dans les passages contrapuntiques plus allants. L’a cappella se trouve assuré avec une précision lumineuse. L’effort mené dans la diction de l’anglais, de l’italien et du latin (qui n’empêche pas le recours fréquent au surtitrage) se traduit par des syllabes bien articulées, qu’elles soient susurrées (Sweet Night) ou élancées à plein poumon (Mercè). La stabilité dans l’émission est par ailleurs remarquée, en dépit des modulations et autres chromatismes qui fournissent les pièces choisies. Successivement en dialogue avec la viole autour de Dowland (Flow my tears et Sorrow stay), Virgile Ancely et William Shelton se font solistes, l’un par une voix installée empreinte du soupir et du tourment, l’autre par le cristallin d’une voix sur un fil (Down, down), les deux aiguillés par la viole attentive de Martin Bauer. Celui-ci offre en outre de ravissantes parenthèses instrumentales avec des pièces de Tobias Hume aux titres explicites (I am Melancholy, A question, I am falling, et An answer).
Le voyage dans la nuit de la mélancolie s’achève avec les « Fa la la » du Too much I once lamented de Tomkins, la musique comme remède à la bile noire. Et alors que les interprètes quittent la scène, demeurent lumineuses les bougies inscrivant sur le sol le mot « Melancholia ».