Les Trois Mousquetaires s'infiltrent au Théâtre Saint-Léon
Emmanuel Gardeil signe une mise en scène efficace qui propose des tableaux
bien composés, équilibrés avec un espace toujours occupé de
manière pratique. Dynamiques et emplis d’énergie, les artistes fourmillent de légèreté et d'un plaisir presque jubilatoire à
être sur scène. La bonne humeur est communicative et se transmet
sans mal à un public réactif et réceptif, parvenant ainsi à faire
oublier la modestie des costumes et des accessoires qui transpirent
parfois le système D, des rectangles de tissus faisant office de
voile pour les nonnes aux bottes en caoutchouc des mousquetaires.
La direction des scènes jouées est remarquée : les chanteurs font tous preuve de réelles qualités dramatiques. Leur diction plutôt naturelle vient soutenir des personnages bien campés, crédibles, qui parviennent à assumer et rendre percutant un texte réadapté qui brise régulièrement le quatrième mur et dont l'humour repose souvent sur des anachronismes (évocation de Johnny Hallyday, du McDonald’s, apparition de téléphones portables pour faire des selfies).
Le ténor Olivier Montmory, dans le rôle de Gontran de Solanges, déploie sa jeune voix, aux aigus bien présents, projetés et soutenus, quoique teintés d’une nasalité peu utile. Il gagne en assurance à chaque nouvelle apparition et les quelques tensions audibles au début disparaissent rapidement. Sa voix parlée ainsi que son jeu plutôt subtil lui confèrent une certaine noblesse et une sympathie qui sied au personnage et sert le propos. Son compère Cédric Le Barbier, baryton dans le rôle de Narcisse de Brissac, peine quant à lui à maintenir les notes longues dans le haut médium et l’aigu, en modifiant notamment exagérément les voyelles qui tendent toutes vers un 'A/O' trop ouvert. La voix est voilée dès la première scène et le souffle est court. Il semble plus à son aise entre les airs, dans la peau d’un Brissac particulièrement extravagant qui décroche à plusieurs reprises le rire général. L’Abbé Bridaine est confié à Hugues Blunat dont le visage reflète l’effort intense qu’il doit fournir pour passer outre les tensions de son appareil vocal et tenter de se faire entendre. Son articulation précise permet néanmoins au texte d’arriver la plupart du temps intact à l’auditoire.
L’expérience de Marie Saadi lui est utile pour incarner Simone de sa voix de soprano lyrique aux aigus faciles et aux médiums chauds. Certains débuts de phrases manquent cependant de contrôle, de même que son vibrato large qui s’en retrouve alors instable. La soprano légère Marie Cordier prend les traits de Marie avec candeur. Sa diction est exemplaire, ses aigus brillants et éclatants bien que la gestion de son souffle soit encore à parfaire. La soprano Virginie Marry est à ce point engagée dans le rôle de Louise, qu’elle perd souvent le contrôle technique notamment lorsqu’elle utilise sa voix de poitrine qu’elle ne parvient pas à soutenir. Les attaques de notes manquent également d’attention si bien que le son parait s’échapper de son corps, se colorant au passage d’une nasalité prononcée. Caroline Duliège interprète la Sœur Sainte-Opportune avec suffisamment de retenue pour créer le décalage nécessaire à l’humour. Chacune de ses apparitions est un trésor de drôlerie et d’efficacité. Le chant pâtit toutefois d’une voix de musical, aux médiums pincés, parfois grinçants, tremblante sur les notes tenues.
Les chanteurs du Chœur, en partie amateurs, ont de réelles qualités
scéniques et dégagent une joie sincère d’être sur scène. Si la
plupart des airs dans l’auberge de l’Acte I sont scandés,
parfois de manière poussive, dès la prière Le front dans la
poussière puis pendant tout l’Acte II, le Chœur montre sa
capacité à nuancer le chant, s’écouter et servir la polyphonie.
Le chef Romain Dumas, avec l’Orchestre Divinopera présente un travail d’une grande qualité musicale, certainement la plus grande réussite de la soirée. Les musiciens sont quasiment irréprochables, capables d'un jeu très nuancé, précis rythmiquement, ils entraînent l’auditoire tout en sachant rester attentifs aux chanteurs et à leurs difficultés.
Cette musique légère et entraînante, son interprétation, la direction artistique et la mise en scène drôles, efficaces ainsi que les artistes engagés et sincères parviennent à conquérir le public qui salue la prestation de bon cœur malgré les quelques faiblesses vocales. La magie de l’opérette à la française.