The Beggar’s Opera : les gueux débarquent à Massy
Oubliés les codes de l’opéra représentant les destins tragiques de rois et de princes : The Beggar’s Opera se déroule dans les bas-fonds de Londres, où règne la loi du plus fort et le chacun pour soi. Ce ballad opera composé en 1728 autour d’airs tirés des répertoires populaire et lyrique, se voit aujourd’hui encore actualisé. Le livret de John Gay laisse place à un arrangement moderne de Robert Carsen et Ian Burton, interprété par Les Arts Florissants de William Christie (ce soir dirigés par Florian Carré). Les airs chantés et les dialogues parlés s’enchaînent à un rythme effréné, illustrant une histoire de misère sociale et morale où tous les personnages sont détestables. Vocabulaire grossier, allusions aux actualités (le Brexit, Theresa May, ou encore le Prince Harry et Meghan), drogue, alcoolisme et luxure : un spectacle pas tout à fait grand public, mais dont les thèmes sont restés universels.
Pendant que le public s’installe, pas de rideau : les décors de James Brandily (un mur de cartons) sont visibles, alors qu’un acteur dort sur une couche de fortune. Son réveil est brutal, une sirène hurle tandis que les musiciens des Arts Florissants arrivent en courant depuis la salle et s’installent sur un côté de la scène parmi les cartons. Accoutrés de survêtements griffés, ils utilisent des tablettes numériques en guise de partitions, dirigés depuis le clavecin par Florian Carré, casquette vissée à l’envers sur la tête. Leur allure streetwear tranche avec la délicatesse de la musique baroque, interprétée avec douceur et homogénéité. Plus que musiciens, ils interagissent avec les chanteurs (ils boivent et participent aux deals douteux) réagissant à ce qui se passe sous leurs yeux.
Les stars du show restent les comédiens : cascadeurs, chanteurs et acteurs, pour la plupart issus du monde du spectacle musical britannique. Les saltos, les portés et les ensembles de la chorégraphie de Rebecca Howell résonnent dans cet univers moderne. Robert Burt est un ténor qui aime sortir de l’opéra et s’aventurer sur les scènes des « musicals ». Son Mr Peachum est le personnage qu’on aime détester, avec un accent Cockney londonien et une absence totale d’empathie. Son timbre est clair, mais il peut manquer de résonnance. Sa femme, Mrs Peachum, est interprétée par Beverley Klein, qui use de son instrument au gré de son jeu d’actrice. En top léopard et claquettes à fourrure, elle alterne les lyrismes avec de larges vibratos et de beaux graves, ainsi que les passages forçant une voix nasillarde qui sied également à son deuxième personnage, une gérante de bar délurée. Pour interpréter leur fille Polly, Kate Batter a le timbre clair et les puissants aigus de tête ideoines, avec en outre des ports de voix très pop qui se prêtent remarquablement aux ornements de la musique baroque.
Sa crapule de compagnon est l’infidèle Macheath. Dans le rôle, Benjamin Purkiss fait son effet et charme le public, mais sa voix serrée atteint difficilement les notes les plus aiguës. La deuxième femme bafouée de l’histoire est Lucy Lockit, campée par une Olivia Brereton dont le timbre plus léger manque parfois de projection. Kraig Thornber interprète son directeur de prison de père avec un accent typique du nord de l’Angleterre et une voix ronde bien projetée.
Le spectacle se termine en apothéose sur un gouvernement (huant au passage l’« inutile ministère de la culture »), les personnages troquant leur attirail de voyou contre un costard-cravate et tailleur, sous les chaleureux applaudissements du public.