Révélations de l'Adami aux Bouffes du Nord : encore neuf en 2019
L'ADAMI, société qui perçoit et répartit les droits de propriété intellectuelle des artistes interprètes, met également ces activités à profit pour soutenir chaque année des Révélations, lyriques et instrumentales. Grâce au partenariat avec les Chorégies d'Orange, l'Adami y propose un concert des Révélations. Des Révélations qui ont également l'occasion de se produire en concert à Paris chaque année (retrouvez nos comptes-rendus des deux dernières sessions aux Bouffes du Nord et de la précédente à Radio France).
Pour 2019, une belle moitié du programme, lyrique et instrumental, met à l'honneur le répertoire français, depuis Méhul (né en 1763) jusqu'à Philippe Hersant (1948) en passant par Gounod, César Franck, Charles-Marie Widor, Poulenc et Ferroud.
L'ouverture à la flûte seule par Joséphine Olech, ondoyant puis vrillant en farandole depuis l'obscurité donne d'emblée le ton impressionniste et impressionnant des jeunes talents à l'affiche (qui multiplient les Prix et marques de reconnaissance, en sus de l'Adami). D'autant que la douceur cède d'emblée la place à l'énergie du chant et du cirque : hommage à la piste ronde des Bouffes-du-Nord avec l'entrée en scène du baryton Jean-Christophe Lanièce sur l'air du Directeur "Public, attendez sans impatience" (Les Mamelles de Tirésias de Poulenc). Il revient incarner le célèbre clown lyrique : Pagliacci. Gardant son auguste noblesse tout en parcourant l'espace, interpellant l'assistance, se récupérant tel un funambule par une plongée vers la partition du pianiste après un trou de mémoire, le grave est rond, l'aigu tonique, mais le vibrato accru s'écarte du cœur de la note (d'autant qu'il fatigue bientôt).
Regardant toujours vers l'auguste, le ténor Kaëlig Boché s'adresse au pharaon en se faisant Joseph, rôle-titre de l'opéra biblique composé par Étienne-Nicolas Méhul en 1807. Il emplit la salle d'une voix sonore et appuyée, conservant toute son intelligibilité (idem pour son second air, en russe : "Kuda, kuda" extrait d'Eugène Onéguine de Tchaïkovski). Le vibrato constant est encore un peu artificiel, le grave gagnera à s'élever de la gorge mais l'aigu est intensément couvert et aussi patent que l'engagement scénique, d'autant qu'il sait retomber sur un dolce mélancolique.
La soprano Hélène Carpentier (Voix Nouvelle 2018) passe d'une robe rouge digne d'une Carmen de soirée (elle qui incarnera très bientôt Micaëla, de Rouen au Théâtre des Champs-Élysées) pour Idoménée de Mozart à une cape noire de Carmélite, comme elle passe d'une intensité déployée (à la mesure de l'immense voûte de la salle) vers l'intensité d'une voix recueillie en chaudes harmoniques. Deux rôles assurément bien choisis et prêts pour la scène. La mezzo-soprano Héloïse Mas propose deux prestations incandescentes, de femmes mourantes. Elle tente d'abord une démonstration vocale avec "Moriro, ma vendicata" (air de Médée dans Thésée de Haendel), ornée à l'extrême dès la première phrase. Le timbre se fait dès lors quelque peu perçant, l'intensité dramatique constante fatigue, mais l'artiste sait enchaîner les élans prestes avec des lenteurs de recueillement, au souffle long, râpeux puis vibré. La fougue des accents subits, sur chaque note jetée est enfin mise au service d'un air entier : "Ô ma lyre immortelle" de la Sapho de Gounod, s'installant à même le sol, répandant sa robe en une mer dans laquelle elle finit par plonger sur la douce rondeur d'une phrase vive et mourante.
Les artistes instrumentistes sont accompagnés par le pianiste Tanguy de Williencourt avec une virtuosité confiante, qui garde la douceur feutrée mais croît progressivement vers un Liszt soliste fougueux. Guillaume Sigier déchiffre pour sa part les partitions accompagnant les artistes vocaux. L'alto de Manuel Vioque-Judde et le violoncelle de Caroline Sypniewski offrent quatre miniatures de Philippe Hersant, rappelant que la modernité peut être touchante et mélancolique par des glissés lumineux, à l'unisson de vibrations (d'autant que l'alto puise ses graves dans le violoncelle et réciproquement dans l'aigu).
Juste avant la "lyre immortelle", deux trios remarqués mènent vers la fin du concert, l'un vocal (Dialogues des Carmélites intense de clarté et de lyrisme), l'autre instrumental (Trio pour flûte, violoncelle et piano de Weber, élégiaque et tournoyant). En guise de rappel, les huit musiciens réunis offrent un concours de décibels sur "Tonight", emportés par le lyrisme de West Side Story et l'accueil euphorique du public.