Amadigi, le Paladin de Haendel par Les Paladins de Correas à l'Athénée
L'intrigue d'Amadigi a beau mettre en scène une magicienne, des visions, des triangles amoureux imbriqués, elle n'a rien de la complexité de certains opus baroques. Elle paraît même limpide : Amadigi et Oriana s'aiment, Melissa est jalouse car elle aime Amadigi, Dardano est jaloux car il aime Oriana.
Ce canevas limpide et le nombre très restreint de personnages inspire à Bernard Levy une scénographie très simple : une mise en boîte ou en écrin, avec trois murs sur lesquels sont projetées des ambiances vidéos (signées Patrick Garbit) colorées suivant les humeurs des personnages. Ces panneaux sont également l'occasion de diffuser les sur-titres, avec une grande précision, très agréable et qui permet de suivre l'intrigue d'une manière d'autant plus aisée et immersive : le texte s'intègre et se dissout naturellement dans les images, il est parfaitement synchronisé avec les paroles chantées et il est même disposé de manière à suivre l'emplacement de chaque interprète (comme des phylactères).
Le spectacle ressemble ainsi davantage à la mise en espace d'une version de concert. Les interprètes s'avancent et se posent pour chanter leurs airs (notamment dans cette œuvre qui enchaîne les solos avec peu de récits), avec un banc puis une chaise pour seuls accessoires, des manteaux noirs (laissant place à une robe bleue ou verte pour les personnages féminins) en guise de costumes (signés Nathalie Prats).

Les trois murs servent également de cage acoustique pour les voix, toutes placées et investies, aux mouvements nets comme leur prosodie. Amadigi est incarné(e) par Sophie Pondjiclis, ses graves de mezzo servent notamment de support aux différents duos : amoureux et guerriers, avec Oriana et Melissa. Elle suit très attentivement la direction du chef, et pour cause : elle remplace pour toute la série de représentations, et en raison d'un "cas de force majeure", Rodrigo Ferreira initialement prévu.
Son amoureuse Oriana, Amel Brahim-Djelloul, allège son intense vibrato strié par ses airs de douceur mais vers une voix droite un peu rêche. Elle sait également distiller un crescendo dans la ligne et la justesse du souffle avec une pointe de rubato (souplesse de tempo) amoureux, vers d'amples phrasés et d'agiles vocalises. Lorsqu'elle est repoussée par Amadigi (confus par la magicienne), ses trilles montent puissamment dans l'aigu pour dénoncer sa cruauté perfide. La magicienne Melissa, également intense dans le complot et la rage (figure renforcée par ses deux sbires muets), déploie la voix sonore d'Aurélia Legay qui gagnerait à enrichir ses harmoniques à la mesure de son appui. Le timbre perce assurément la fosse d'orchestre mais le vibrato râpeux fait bouger la ligne. Dardano par Séraphine Cotrez, rôle "en pantalon", ici de garçonne, rend d'autant plus francs ses graves poitrinés comme ses consonnes fouettées. Les vocalises la trouvent toutefois un peu à court de souffle et de justesse. Elle gagne cependant en volume au fil de la soirée, ce qui lui permet de faire croître l'intensité du personnage, qualité indispensable pour ce répertoire d'opéras seria qui aime à répéter des airs à l'envi et certains mots des douzaines de fois.
Les Paladins adaptent l'effectif et la puissance opératique à la fosse et à l’acoustique de l'Athénée (avec 15 cordes, 4 vents et deux continuistes au clavecin et théorbe ou guitare). Ils déploient un jeu orchestral énergique et constamment très présent, riche en accents, élans et trilles, très précis autant qu'intense en fugues et contrepoints. Les alternances entre piano et forte sont franches et régulières, nettes et précises, expressives (les unissons de vents et trompette sont toutefois tirés).
Tout est bien qui finit bien (dans l'esprit baroque) : Amadigi et Oriana sont réunis, Dardano et Melissa sont morts repentis. Tous se relèvent (même les morts) et sont acclamés par le public (qui avait rapidement pris le pli d'applaudir chaque air), ce jusqu'à l'entrée du metteur en scène qui essuie quelques huées très sonores.