Neiges éternelles à la Philharmonie de Paris
La Philharmonie de Paris propose l'intégralité du Voyage d’hiver de Schubert, avec ses vingt-quatre Lieder, composés en 1827 à Vienne. Plus qu’une véritable narration comme c’était le cas dans La Belle Meunière (le cycle précédent), le Voyage d’hiver constitue davantage une suite d’images, une errance triste dans un paysage de glace qui n’est pas sans rappeler les tableaux du hollandais Barend Cornelis Koekkoek (1803-1862).
Passant peut-être un peu trop rapidement sur les nombreuses ambiguïtés de l'opus, le ténor Christian Elsner choisit une interprétation conventionnelle mais tout à fait efficace de ces Lieder. D’une grande puissance, sa voix se libère peu à peu, avec une aisance qui reste certes moindre dans les extrêmes, aigus ou graves plus caverneux, mais conserve sa couleur chaude et ample. Le soin souligné porté à tenir une ligne vocale définie se maintient par un son riche. C’est pourquoi certaines envolées tonitruantes surprennent bien qu'elles prouvent aussi la maîtrise de l'ambitus et de la partition.
Un peu statique, le jeu d’Elsner contrastant alors avec celui du pianiste Gerold Huber peut donc ainsi surprendre, puisque ce dernier s’engage de façon totale dans le jeu, illustrant physiquement, donnant corps à ce combat des éléments et de l’esprit, essentiel dans le Voyage d’hiver. L’énergie et la détermination de l'instrumentiste font du Lied un concerto tantôt pour voix ou pour piano. Le duo devient ainsi parfois duel entre le musicien et le chanteur, déstabilisant quelque peu le rythme d’Elsner, pas toujours en place face aux fantaisies d’Huber. Mais le contact puissant est à l'image de la main d'Elsner, saisissant le piano de son partenaire.
Si Elsner incarne une force à l'image de son vibrato impressionnant, la fragilité de son timbre dans certaines pièces, associée au souffle, dévoile une meurtrissure inattendue qui donne à ce Voyage un caractère surprenant. Schubert livre en effet une œuvre des plus intimes, à la fois classique et moderne, annonçant résolument un printemps nouveau.