Rêves d’une Nuit d’été : Karine Deshayes contre la déprime hivernale
Les œuvres symphoniques de Berlioz , de Ravel et de Roussel sont ici réunies autour du thème des amours impossibles. Un beau programme de musique française porté par Fabien Gabel dirigeant un Orchestre National d’Île-de-France en grande forme et par Karine Deshayes, familière du cycle de Berlioz.
L’ouverture Le Corsaire de Berlioz inaugure le programme. La secousse initiale suivie de près par un thème lyrique enamouré parle immédiatement de passion et de tourments. Bientôt, c’est une tempête qui se lève mais qui porte en elle une certaine joie et un brillant que Fabien Gabel paraît inspirer à ses musiciens. En quelques minutes, l’auditoire est ballotté de tous côtés, passant de l’exaltation à la peur de l’engloutissement avec jubilation. Les belles sonorités des cuivres et la précision gestuelle du chef portent ce début simple et efficace, salué par des applaudissements enthousiastes.
Après un changement de plateau un peu long, Karine Deshayes entre dans une belle robe bleu-roi, blonde, un sourire aux lèvres, promettant ainsi un peu d’été. Elle s’installe aux côtés du chef, un pupitre devant elle, et entame l’exercice difficile : sans préambule (ou presque) il s’agit de se lancer dans la Villanelle, une mélodie célèbre et facile seulement en apparence. Immédiatement, le timbre est rond, la voix franche, rien ne semble appuyé dans l’émission. La voix chaude dispose d’une grande variété de couleurs. En revanche, les graves que la chanteuse ne cherche pas à amplifier artificiellement sont un peu faibles (le début de Sur la lagune est ainsi difficilement audible).
La mezzo-soprano française paraît d’abord un peu prudente mais déploie tout de suite sa musicalité et une diction assez naturelle (sans doute parce qu’elle a été beaucoup travaillée) : le texte est intelligible même si par moments la ligne vocale et la rondeur de la voix sont privilégiées à l’articulation. La Villanelle sonne un peu sérieuse, plus poétique et rêveuse que véritablement enjouée. Par contraste, Le Spectre de la Rose pris à un tempo assez allant paraît moins sombre et grave qu’attendu : pas de métaphysique ici. La voix se déploie alors dans le haut medium : la phrase « et parmi la fête étoilée » prend ainsi une ampleur soudaine et majestueuse, comme si la chanteuse s’épanouissait davantage dans cette tessiture un peu plus haute. Lamento touche ensuite par sa sobriété et sa sensibilité musicale, mais les deux mélodies suivantes (Absence et Au cimetière) semblent moins convaincantes, l’atmosphère du cimetière n’est pas vraiment là et la voix paraît un peu moins stable, plus raide (le public tousse beaucoup et se déconcentre alors un peu).
L’orchestre, aux pupitres réduits par rapport à l’ouverture, semble peiner à trouver une homogénéité sonore, les instruments se détachent parfois avec trop force. Le premier violon manque ainsi de mystère lorsqu’il doit évoquer, grâce aux harmoniques, le passage d’une ombre dans le cimetière. Cependant, L’Île inconnue, plus dynamique, permet à la chanteuse de retrouver l’attention de son public : son regard s’ouvre, sa voix se déploie plus généreusement, elle s’amuse du texte et de sa poésie avant d’être applaudie avec enthousiasme.
Magnifiques Nuits d'été #Berlioz par @Karinedeshayes @ONDIF & Fabien Gabel @philharmonie pic.twitter.com/cjPO7PA2GC
— Ludmilla Sztabowicz (@LSztabowicz) 13 janvier 2019
Après un bref entracte, le programme avance dans le temps avec la Suite n°1 de Daphnis et Chloé de Ravel puis la Suite n°2 de Bacchus et Ariane de Roussel. Les deux œuvres ont en commun une grande sensualité et un charme mystérieux. L’orchestre plus fourni que pour Les Nuits d’été semble également plus uni : le son est puissant, clair, et le chef communique à l’ensemble une belle énergie. Fabien Gabel varie avec art les atmosphères chez Roussel et réussit à donner vie à la « Danse guerrière » de Daphnis et Chloé au rythme obsédant. Tout au plus, la progression dynamique aurait-elle gagné à être plus lente : l'effet de terreur n’en aurait été que plus réussi. Enfin, les nombreuses interventions solistes sont remarquées : le violon chaleureux d’Ann-Estelle Médouze au début de l’œuvre de Roussel ainsi que les interventions du piccolo chez Ravel.
Le public sort de la Philharmonie, la nuit est déjà tombée mais l’hiver parait un peu moins gris.