Mozart et Neukomm sacrés à Tourcoing
Augurant
les ors retrouvés deux jours plus tard à la Chapelle Royale de Versailles, la Messe du Couronnement (1779) de
Mozart et La
Résurrection (1828)
de Neukomm se déploient dans l’acoustique feutrée du Théâtre Raymond Devos à Tourcoing. L’originalité de ce programme,
intéressant aussi bien pour l’amateur de musique sacrée que pour
le musicologue, réside dans le deuxième opus (objet d’une
coproduction avec le Festival Classica) qui connaît ainsi une première
représentation en France. L’occasion de découvrir cet oratorio d'un compositeur prolixe (plus de 2.000 œuvres nous sont parvenues) cher à
Jean-Claude Malgoire (voir le Requiem de Mozart avec la fin de Neukomm proposé en juin dernier) articulée
à un brillant ouvrage du jeune Mozart, dédié à l’empereur du
Saint-Empire Romain Germanique Leopold II alors fait Roi de Bohème puis repris en de multiples occasions.
Accompagné
de son Chœur de Namur, de l’orchestre local (La Grande Écurie et la Chambre du Roy) et de quatre solistes, Leonardo García Alarcon installe
l’auditoire dans une exaltation religieuse irisée de mille
émotions. Chacune des six parties de la
Messe du Couronnement
de Mozart, pièce concise aux myriades de caractères dominée par la
tonalité de do majeur, fait l’objet d’une
articulation très délicate. Le chef cultive le contraste, puise
dans la partition un son généreux et enthousiaste retranscris dans
sa battue pleine d’arabesques. Surtout, il est d’une grande
exigence dans la direction et apparaît expert de la partition dont
il montre une connaissance et une conscience intime. La maîtrise du
son est dès lors des plus fines, à l’instar de ces légers
rallentandi précédant un point d’orgue offrant un contrepoint rythmique
mesuré à une battue précise dans l’ensemble. La lumière bleutée
tapissant le fond de la scène jusqu’alors se meut en une aube
solaire, énonciatrice d’espoir, tandis que les musiciens de La
Grande Écurie et la Chambre du Roy introduisent La
Résurrection avec une
teinte dramatique précédant l’annonciation de la
résurrection du Christ. La basse est suivie par des Halleluja
allègres du chœur qui se meut en apothéose lors de la fugue
finale, la musique alors tout au service de la narration.
Si
l’acoustique des lieux confine légèrement la résonance du son,
laissant perceptible une certaine sécheresse dans ces fameuses fins
exaltées en des forte
glorieux, il n’empêche que la précision et la clarté des lignes
apparaissent d’autant plus évidentes et flattent les voix au
contraire de certaines imprécisions de l’orchestre.
Chez les solistes, chacun apparaît dépendant de la partition, la communication avec le public comme l’authenticité de l’interprétation s’en trouvant affectée. Vêtue d’une robe scintillant de mille feux, la soprano Laetitia Grimaldi Spitzer montre d’abord une voix timide à l’amplitude resserrée, mais bien placée (l’Agnus dei de la Messe du Couronnement) d’où émanent des aigus perlés et des médiums délicats (parfois légèrement enroués, cependant) aux piani d’une grande sensibilité. Elle gagne en assurance et dévoile lors de la Résurrection la palette expressive plus large de son timbre velouté. À ses côtés dans la Messe du Couronnement, Pauline Sabatier donne à ses lignes une voix d’ambre à l’articulation soignée et dont la légère retenue dans les parties polyphoniques est du plus bel effet.
Ténor au timbre d’airain, Antoine Bélanger montre un aigu sûr et homogène. La voix projette idéalement pour cet effectif, assurant forte comme piano avec aisance (le Und zu Thomas repris piano avec un léger silence de l’ensemble, en un bel effet dramatique). L’interprète montre par ailleurs une grande intelligence du phrasé et de la narration (avec une juste diction de l’allemand), irriguant l’histoire de la Résurrection du Christ dans l’œuvre de Neukomm d’une belle intention. Mobilisé aussi bien pour des médiums mouvants que des graves inaltérables, Marc Boucher assure son registre de baryton avec brio d’une voix au timbre riche et puissant. L’émission est stable, laissant résonner des lignes parfois trop monolithiques avec une palette de nuances réduite. Au demeurant, l’interprète apparaît dans les récitatifs de la Résurrection comme un conteur inspiré et exalté à la voix installée.
Acteur à part entière des deux opus, le Chœur de Namur offre une prestation remarquable, conférant toute la majesté et la grandeur aux deux ouvrages sacrés. L’écriture verticale (les harmonies statiques, subtils accords) et horizontale (formes fuguées, à l’instar du Hallelujah de la Résurrection, bissé en fin de spectacle) transparaît avec limpidité au sein d’un discours tout en nuances (les exquis piani de l’Agnus Dei, comme les forte), en articulation (les « passus » comme murmurés, le son porté puis legato du chœur) et en homogénéité. Face à eux, La Grande Écurie et la Chambre du Roy fait preuve d'une énergie infaillible mais à la précision inégale dans le jeu. Des passages accordent musicalité et technique en une pleine expressivité (l’Agnus Dei, l’introduction de La Résurrection), d’autres laissent ressortir décalages et instabilité de l’émission.
Prochain rendez-vous à l’Atelier Lyrique de Tourcoing, La Clémence de Titus par Christian Schiaretti, qui redonnait l’année dernière in loco sa mirifique production de Pelléas et Mélisande avec un superbe trio Sabine Devieilhe — Guillaume Andrieux — Alain Buet.