Don Giovanni moderne et follement amusant au TCE avec Erwin Schrott
Le baryton-basse Erwin Schrott (également auteur de la mise en espace) s'offre une interprétation magnifiée du célèbre séducteur. Très à son aise et crédible dans le rôle, sa liberté s'associe au talent pour la comédie. Dès l'ouverture, il montre un personnage avide de plaisirs, facétieux, mais aussi dissimulateur et prompt à la fourberie. Charmeur, il va jusqu'à flirter éhontément avec la pianiste, avec les femmes des premiers rangs du parterre, pendant l'air “Deh vieni alla finestra”, avant de tourner ses feux vers la jolie joueuse de mandoline. Son imagination débordante détourne avec délice le texte de da Ponte, faisant semblant pendant tout l'opéra de ne pas se souvenir du prénom de Masetto, ou butant sur le mot sposar, comme s'il lui coûtait de parler d'épouser une conquête. En pleine possession de ses moyens vocaux, le chanteur montre notamment sa facilité dans l'exercice difficile du récitatif. Son air du champagne est maîtrisé, et pendant tout l'opéra, il ne montre pas la moindre faiblesse ni hésitation.
Sa complicité avec Ruben Drole, qui remplace Christian Senn dans le rôle de Leporello, est évidente et donne lieu à des scènes véritablement comiques. S'il aurait pu se fâcher davantage sur “Notte e giorno faticar” ("Nuit et jour se fatiguer", qui ouvre l'opus), le baryton-basse s'anime assez vite, et son air du catalogue est bien plus enthousiasmant. Dans ce rôle de serviteur exaspéré par son patron, mais au fond plein d'affection pour lui, Drole est aussi pleutre, insolent et naïf que souhaité, mais surtout très attachant. Son timbre chaleureux, plus sombre que celui de Schrott, donne sa profondeur au personnage.
Julia Kleiter incarne une Donna Anna très classique, élégante et noble, à la fois femme outragée et amoureuse. Habituée du répertoire mozartien, son timbre correspond au rôle, mais manque parfois de générosité et de rondeur. Son Ottavio, incarné par Benjamin Bruns, est un fiancé protecteur et très touchant. Son “Dalla sua pace” est pris étonnamment lent, ce qui le met par moments en difficulté mais la grande musicalité du chanteur le met à son aise dans tous les extrêmes.
C'est Donna Elvira qui change de l'ordinaire : moins enragée, moins virulente qu'attendue dans ce rôle, Lucy Crowe semble parfois manquer de l'appui que pourrait lui donner une mise en scène avec décors et costumes, par rapport à la mise en espace d'une version de concert. Souvent droite, elle reste un peu faible dans sa colère, la voix souvent poussée dans les aigus est laryngée dans les graves. La Zerlina de Giulia Semenzato lui offre un contrepoint charmant, aussi bien vocalement que physiquement. Mutine juste ce qu'il faut, d'une grande aisance scénique, son timbre ajoute un charme supplémentaire au personnage. Son Masetto, interprété par David Steffens n'est pas en reste. La basse, qui incarne aussi le Commandeur, dispose aussi bien de la stature vengeresse que de l'attendrissement du paysan maladroit.
La mise en espace est très réglée, à l'exception de quelques scènes, notamment cet interlude étrange ajouté à la mort du Commandeur, pendant lequel il semble être accueilli par sa défunte épouse au royaume des morts (le chanteur étant sorti de scène, la pauvre Donna Anna se retrouve face au vide pour chanter son désespoir de découvrir le cadavre de son père).
La direction de Giovanni Antonini, énergique et très attentive aux chanteurs, est doublée d'une vraie complicité avec Schrott. Enfin, la pianiste So Young Sim mérite une mention particulière pour ses accompagnements des récitatifs secco (par accords), admettant avec grâce toutes les facéties de Schrott et Drole.