Une Rodelinda luxueuse conclut l’année à l’Opéra de Lyon
En cette fin d’année, l’Opéra de Lyon programme Rodelinda, l’une des œuvres majeures de Georg Friedrich Haendel, notamment mise à l’honneur par l’Opéra de Lille au mois d’octobre dernier.
La production mise en scène par Claus Guth, créée en 2017 au Teatro Real de Madrid, s’organise autour d’un décor sobre dont le centre est une maison blanche sur deux qui pivote sur elle-même. Les six personnages, qui semblent appartenir à la haute société du XIXe siècle, évoluent à l’intérieur et devant la maison. Par le biais de jeux de lumières (Joachim Klein) et de projections vidéos (Andi Müller) la scène se transforme en forêt sauvage lorsque Bertarido paraît, dissimulant la demeure aux yeux des spectateurs.
Les événements se déroulent tous sous les yeux de Flavio, le fils de Rodelinda et Bertarido. La connexion entre les faits réels et la perception enfantine apparaît dans le jeu de masques en papier mâché et les projections des dessins de Flavio sur la façade de la demeure.
Après une ouverture que le chef Stefano Montanari dirige dans un tempo particulièrement rapide, le public découvre le timbre clair de la soprano Sabina Puértolas qui chante Rodelinda. Vêtue de noir, elle pleure son époux Bertarido, roi légitime qu’elle pense mort assassiné. Ses interventions se succèdent entre bravoure et finesse vocale. Dans l’air "Spietati, io vi giurai" (Cruels, je vous jurais) de l’acte II, la voix bien projetée, très agile dans les aigus, se met au service de la colère et de la détermination du personnage. Puértolas adapte son jeu et la texture de sa voix avec brio, comme dans l’air "Se’l mio duol non è si forte" (Si ma douleur n’est pas assez forte, acte III) : afin d’accentuer l’effet dramatique de la scène, l’interprète abîme volontairement son chant sur le mot « pietà ».
L’époux de l’héroïne, Bertarido, est chanté ce soir par Xavier Sabata. L’interprétation dramatique et musicale du contre-ténor rend subtilement les états d’âme du personnage, entre colère et confusion. Dès le premier air ("Dove sei"-où es-tu ?, acte I), la voix projetée et puissante, est bien placée. Les da capo (reprises) permettent au chanteur de déployer sa ligne vocale avec assurance et de varier les élans expressifs, comme en témoigne "Confusa si miri l’infida consorte" (l'infidèle épouse est perdue, acte II). Il développe avec une facilité singulière sa palette vocale dans l’air "Vivi, tiranno" (Vis, tyran, acte III), sur lequel il vocalise avec précision, tout en alternant les nuances. Sa performance est saluée par de vifs applaudissements. Les voix des deux personnages principaux forment d’heureux duos. Le célèbre "Io t’abbraccio" (acte II) qui apparaît comme un moment suspendu, est accueilli avec chaleur.
Le ténor Krystian Adam, offre à Grimoaldo un chant particulièrement expressif et généreux dans un caractère d'arrogant ambitieux. La variété de son expression vocale est fine et élégante, notamment dans l’acte III. Si l’air "Tra sospetti, affetti, e timori" (Parmi les soupçons, les espoirs et les peurs, scène 2) lui permet de déployer sa puissance et de vocaliser avec aisance, il conduit aussi sa ligne mélodique avec un timbre voluptueux et chaud dans l’air "Pastorello d’un povero armento" (Berger d'un pauvre troupeau, scène 5).
En l’absence d’Avery Amereau, souffrante, Eduige, sœur de Bertarido, est interprétée par Lidia Vinyes Curtis qui faisait partie de la production de Madrid. Femme de caractère, dominatrice et combative, Eduige s’adoucit progressivement au fil des actes et choisit finalement la voie de la conciliation qu’indique la complicité nouvelle créée avec Flavio (acte III). La voix de la mezzo-soprano offre des médiums affirmés. Elle se développe grâce à une technique assurée, en particulier dans les vocalises.
La qualité de la production est soutenue par l’ensemble des rôles secondaires. L’investissement scénique du baryton Jean-Sébastien Bou, dans le rôle de Garibaldo, est particulièrement convaincant. Sa voix sombre et sonore, qui traduit bien la tyrannie du personnage, s’associe avec celle du contre-ténor Christopher Ainslie, Unulfo. Ce dernier exécute ses parties solistes d’une voix légère qui manque parfois de puissance, mais révèle une ligne vocale assurée et des vocalises très agiles.
Sous la direction de Stefano Montanari, qui tient la partie d’orgue, l’Orchestre de l’Opéra de Lyon accompagne les chanteurs avec finesse et subtilité, même dans les tempi les plus rapides.
Les nombreux applaudissements et les acclamations du public témoignent de la réussite de la soirée.