Les Arts Florissants et Marc-Antoine Charpentier fêtent Noël à la Philharmonie
Lorsqu'il fonde son ensemble en 1979, William Christie choisit le nom d'un opéra de Marc-Antoine Charpentier : Les Arts Florissants. Le compositeur baroque et Les Arts Flo (pour les intimes) entretiennent ainsi une relation étroite, jusqu'à nos jours et ce concert mené par leur co-directeur depuis cinq ans, Paul Agnew.
Ce dernier présente l’œuvre de Charpentier dans son originalité : le compositeur a utilisé des mélodies populaires comme base de sa composition musicale, mêlant le profane au sacré, dans la tradition des messes-parodies qui existent depuis le XIVe siècle. Agnew explique ainsi le défi de cette œuvre : rendre la solennité de la messe avec des chansons dansantes. Pour que le public se rende compte de la transformation que Charpentier opère dans sa musique, la première partie du programme présente les chansons Or nous dites Marie, Joseph est bien marié, Une jeune pucelle.
Les passages du style populaire au style savant sont éclairés par l’interprétation des musiciens (instrumentistes et chanteurs). Les cordes apparaissent tantôt dans une grande douceur tantôt très rebondissantes dans les extraits de Noël sur les instruments de Charpentier. Les trois fantaisies d’Eustache du Caurroy intercalées entre les couplets d’Une jeune Pucelle permettent à l’organiste (Florian Carré) et aux deux flûtistes à bec (Sébastien Marq et Michelle Tellier) d'offrir des prestations très remarquées. Paul Agnew parvient à relever le défi, adoptant des tempi moins vifs et un phrasé plus lié, traduisant le caractère plus cérémonieux de la messe.
L’ensemble Les Arts Florissants est aussi une troupe de chanteurs rompus au style baroque et intervenant dans le chœur ou comme solistes. Plusieurs d’entre eux ont été formés au Jardin des Voix, l’Académie des Arts Florissants pour de jeunes chanteurs baroques, Paul Agnew en étant également le codirecteur. La cohésion du groupe est transmise par une grande unité vocale favorisée par la clarté des timbres au vibrato contrôlé et par une diction très précise. Que ce soit dans le répertoire profane ou dans l’écriture savante aux multiples dissonances (Et incarnatus est de la Messe) le chœur déploie une richesse sonore étincelante d’harmoniques.
Parmi les chanteurs, cinq solistes se démarquent au cours de la soirée. Élodie Fonnard dont l’émission aisée rend la grâce des mélodies populaires dans lesquelles elle semble s’amuser à distiller la simplicité du texte. Sa voix lumineuse et précise restitue les ornements des lignes de chant dans l’Ave Maria de Bouzignac. Pour Une jeune Pucelle d'Eustache du Caurroy, elle marie harmonieusement son timbre avec celui de Natalie Perez. Bien qu’une certaine fragilité apparaisse en début de programme dans Dum silentium de Bouzignac (justesse approximative), cette dernière se ressaisit rapidement et répond au chœur sans sourciller d’un timbre riche et défini, d’une grande intériorité.
Nicholas Scott projette sa voix dans une posture extravertie. Le timbre sonore, placé très en avant peut cependant manquer de legato et sa diction n’est pas toujours distincte quand il chante Joseph est bien marié. À coté de Nicholas Scott, Thibaut Lenaerts semble manquer quelque peu de projection et de brillant et c’est tout en douceur qu’il occupe la partie centrale du trio masculin. La partie de basse solo est assurée par Cyril Costanzo dont le timbre coloré et clair assure une présence vocale indéniable. Ces trois chanteurs marient leur timbre lors des trios dans la Messe, dans un phrasé soutenu, offrant de beaux crescendi jusqu’aux résolutions.
Très applaudis, les musiciens reviennent saluer à plusieurs reprises et Paul Agnew, après avoir partagé son inquiétude au sujet du statut des intermittents du spectacle actuellement débattu, congédie le public en lui souhaitant un joyeux Noël et en faisant remarquer malicieusement que d’habitude les gens partent beaucoup plus vite après la messe !