Opera locos à Bobino, le fou medley lyrique
Le Théâtre Bobino propose Opera Locos, un spectacle créé par Yllana et Rami Eldar, mêlant absurde (dans la veine de Shirley et Dino, récents metteurs en scène à Versailles), mime et chant lyrique (sonorisé, chanté en direct sur des musiques pré-enregistrées). Bien que décousue (le spectacle est coupé pour satisfaire aux contraintes horaires du théâtre qui programme une autre production en seconde partie de soirée), l’intrigue suit cinq personnages déjantés qui s’expriment à travers des bribes d’airs d’opéra célèbres, mixés les uns aux autres ou à des tubes de variété, réarrangés (intéressante reprise pop de l’Intermezzo de Cavalleria Rusticana) ou encore parodiés. Si les spectateurs les plus avertis sont livrés à un quiz musical géant, les plus néophytes peuvent cliquer sur les liens des œuvres citées dans cet article, afin d’en découvrir plus sur les airs qu’ils ont appréciés (des interprétations étant proposées dans l’onglet vidéo de ces pages).
Une première intrigue s’intéresse à un élève (Jesus Garcia Gallera, contre-ténor) et son professeur de chant (Enrique Sánchez-Ramos, baryton), travaillant avec peu de succès l’air de Figaro dans le Barbier de Séville. L’élève de la session suivante étant en retard, l’instructeur fait travailler le public, invité à chanter (sur « la la la ») de grands airs du répertoire, comme celui d’Alfredo dans La Traviata, montrant ainsi à quel point le répertoire d’opéra (souvent considéré comme élitiste et inaccessible) est ancré dans la mémoire collective. Alors que l’élève exprime sa sensibilité en chantant du Haendel sous sa douche (la température de l’eau étant alors prétexte aux vocalises de la partition), le maître affiche sa virilité par l’air d’Escamillo extrait de Carmen. Le coup de foudre a finalement lieu sur la Barcarole des Contes d’Hoffmann (le baryton chantant en voix de fausset).
De son côté, une admiratrice (la soprano Maria Rey-Joly, qui chante « O mio babbino caro » de Gianni Schicchi en enlaçant une photo de son idole) parvient à séduire un chanteur d’opéra (le ténor Antonio Comas), pris de dépression du fait de son incapacité à chanter correctement le « Nessun dorma » de Turandot (qu’il interprétera finalement). Proche du suicide (évoqué sur le célèbre « Vesti la giubba » de Paillasse puis sur My way de Paul Anka), il est sauvé par l’admiratrice (qui le gronde sur l’air de la Reine de la nuit dans La Flûte enchantée) : il l'épouse finalement.
Enfin, une séductrice (la mezzo-soprano Mayca Teba, aux allures de sorcière de Blanche-Neige) clame l’amour libre de Carmen avant de chercher à séduire un homme du public (grâce à l’air de Samson et Dalila « Mon cœur s’ouvre à ta voix » et I will always love you de Whitney Houston).
Maria Rey-Joly offre une voix ronde et fortement vibrée, puissamment projetée. Elle trouve de belles nuances malgré les effets comiques requis. Enrique Sánchez-Ramos façonne de sa voix large un timbre clair au vibrato léger et au souffle long. Antonio Comas couvre sa voix au timbre chaud et aux aigus vaillants, mais manque de cohérence dans les phrasés. Mayca Teba dispose d’une voix vibrante, tranchante dans les aigus, mais qu’elle sait rendre caressante dans de beaux graves de contralto. Enfin, Jesus Garcia Gallera joue sur l’humour et le théâtre pour masquer l’instabilité de sa voix (qui génère des défauts de justesse) et son souffle un peu court.
Bon enfant, le spectacle a au moins le mérite de montrer à quel point le grand public apprécie l’opéra (les diffusions de France Télévision battent d’ailleurs tous les records sur les critères qualitatifs), qu’il connait sans le savoir : notre rubrique l’Air du jour est l’outil idéal pour ceux qui n’y connaissent rien mais souhaitent explorer ce répertoire… avant de franchir un jour les portes d’un opéra !