Azor, un spectacle de troupe mené à 100 à l’heure au Théâtre de l’Athénée
Azor est à la base le nom d’un chien, mais s’avère être surtout le surnom donné par ses subordonnés à leur nouveau commissaire de police des beaux quartiers, un tout jeune homme ahuri et candide, poète à ses heures. Il s’est épris de la ravissante fille du Ministre de la Justice rencontrée lors d’une promenade, alors même qu’il se trouve poursuivi par une maîtresse envahissante -et mariée- et par une délicieuse voleuse à la tire éprise de vers. Les circonstances l’amènent à rejoindre la bande du redoutable Kiki-Le-Frisé qui écume les pavillons de Neuilly, avant de retomber sur ses pieds et d’épouser la fille du Ministre. Bien entendu, tous les ressorts habituels de la comédie sont ici présents avec quiproquos, déguisements, faux couples et multiples rebondissements.
La compagnie « Quand on est trois ! » composée de plusieurs complices de la Compagnie des Brigands déjà bien connue -dont Les P’tites Michu de Messager, données un peu partout en France tout récemment-, propose ici une version rajeunie d’Azor, pleine de verve et d’expressivité. Le livret a été légèrement ajusté pour un public contemporain, même si certaines traces de misogynie persistent. Un antiquaire remplace le personnage juif d’alors dont la caractérisation sentait quelque peu l’époque. Au plan musical, Emmanuel Bex a choisi de retravailler et réorchestrer la partition, confiée à trois instruments : guitare électrique, batterie et orgue Hammond. Les mélodies des trois compositeurs d’origine -Gaston Gabaroche, Pierre Chagnon, Fred Pearly, prolifiques auteurs à succès pour les grandes vedettes de l’époque comme l’ahurissant Félix Mayol, la tragédienne de la chanson Damia ou la meneuse de revue Mistinguett, restent reconnaissables (dont la fameuse chanson Azor créée par la gouailleuse Arletty et heureusement léguée par cette dernière au disque).
Mais on bascule résolument ailleurs, vers le jazz, la musique rock ou pop. L’ambiance s’en trouve perturbée et la franche sonorité des trois instruments vient à plusieurs reprises couvrir les voix des comédiens-chanteurs ici sonorisés. Le côté positif du procédé est que le rythme du spectacle s’envole sans connaître un instant de réel répit. Les trois actes et les deux heures de la représentation passent à toute allure et dans un rire presque permanent. La mise en scène de Stéphan Druet apparaît toute pleine d’inventions et de surprises, soutenue par la chorégraphie débridée et allumeuse d’Alma de Villalobos. La plupart des artistes cumulent plusieurs rôles et parviennent à se métamorphoser en un temps record sans aucun accroc.
Quentin Gibelin excelle dans le rôle d’Azor, dont il possède le charme un peu lunaire mais aussi la dynamique. À ses côtés, Julien Alluguette (Robert Favier, l’avocat) se montre un artiste complet, comédien sensible (il fut nommé révélation théâtrale de l’année aux Molières 2009 pour son interprétation dans la pièce de Peter Schaffer, Equus) et danseur de premier ordre, tout en déhanché et en rebonds. Emmanuelle Goizé démontre un tempérament de feu dans le rôle dévolu à Arletty, Madame Marny, la maîtresse croqueuse d’hommes, sorte d’hétaïre bourgeoise et voluptueuse. Elle a aussi créé la jolie scénographie efficace du spectacle. Gilles Bugeaud, chanteur solide et plein d’humour, incarne le mari jaloux, le ministre, mais aussi le brigadier d’opérette. Fanny Fourquez campe une ingénue pas trop farouche et même délurée, Pauline Gardel une Cloclo La Panthère espiègle et piquante, Estelle Kaïque la ministre un peu éthérée et ne voyant rien venir. Dans le rôle de l’antiquaire, ancien prestidigitateur et surtout voleur peu organisé, Pierre Méchanick s’illustre avec bonheur. Les trois musiciens interviennent sporadiquement dans le spectacle, dont le guitariste Antonin Fresson qui interprète avec saveur le chef de bandits, Kiki-La-Frisette.
Présenté au Théâtre de l’Athénée jusqu’au 13 janvier 2019, cet Azor est plein de joyeuses ressources et de franche gaieté.