Les Contes d'Hoffmann de Londres, Grigolo et Yoncheva au cinéma
La production de John Schlesinger, créée en 1980 dans le même opéra, n'a pas pris une ride. L'intrigue est logiquement placée à l'époque du poète E.T.A Hoffmann, avec des costumes tout à fait réussis et des décors créant un univers esthétique très agréable pour le spectateur. Le prologue qui s'ouvre sur une taverne offre au chœur d'hommes l'occasion de montrer une diction irréprochable et un jeu d'acteurs travaillé. C'est dans cette ambiance de beuverie que le baryton Thomas Hampson apparaît et introduit le sombre Lindorf, qui se dédoublera à chaque acte de façon toujours plus diabolique. La présence scénique du chanteur est toujours marquée et caractéristique (tantôt facétieux, tantôt démoniaque), mais, malgré toute l'énergie déployée, l'âge se fait sentir dans une fatigue des graves et un manque d’assurance dans l'émission.
Vittorio Grigolo, lui, arrive (et demeure tout du long) en pleine forme, aussi bien scénique que vocale, immédiatement dans son rôle. Vieilli par le maquillage et sa perruque, d’une ivresse très crédible, il émeut dans le rôle du poète abîmé par ses amours malheureuses. Pour l'accompagner, son ami Nicklausse, rôle travesti tenu ici par la mezzo-soprano Kate Lindsey dispose d’un charme certain mais manque de projection dans les graves, sûrement à cause d'une émission trop engorgée.
L'acte I présente le physicien Spalanzani et sa “fille” Olympia, dont le jeune Hoffmann est tombé amoureux, ne sachant pas qu'elle est en réalité une poupée automate. Sofia Fomina assume la grande technique vocale requise par ce rôle très physique d’automate rigide et sans âme. Le tour de force est aussi dans sa voix désincarnée, qu’elle sait ramener à la vie lorsqu'Hoffmann porte ses lunettes magiques offertes par l'étrange Coppélius (Hampson), qui lui font voir la femme aimée comme il voudrait qu'elle soit. Le célèbre air “Les oiseaux dans la charmille” est sans accroc, mis à part un léger problème de mise en place avec l'orchestre, au même endroit dans les deux couplets.
Parmi la grande diversité des versions existantes pour cet opus inachevé, le choix est ici fait d’intervertir les actes II et III, ce qui place en dernier l'acte de la malheureuse Antonia, le plus émouvant. L'acte III s'enchaîne donc avec le premier, et dévoile un magnifique décor de maison close, dans une ambiance orientale, sur la célèbre Barcarolle, interprétée par Nicklausse et Giulietta, la courtisane corrompue par le sinistre Dapertutto (toujours Hampson). Cette dernière est tenue par Christine Rice, dont la diction, loin d'être mauvaise, est malgré tout la moins précise d'une production particulièrement impressionnante sur ce point. Aucune syllabe n'est perdue, ni dans les chœurs, ni chez aucun des chanteurs : tout est parfaitement articulé et les sous-titres sont presque superflus.
Après un court entracte, l'acte II s'ouvre avec le très bel air de la Tourterelle, chanté par Antonia, jeune femme que le chant rend malade. Dans ce rôle, Sonya Yoncheva est époustouflante, sa technique est toujours aussi assurée, son émission très claire, parfaitement concentrée. Très émouvante, elle offre une interprétation profonde d'un rôle parfois trop en retrait. Son père, le vieux Crespel, est interprété par la basse Eric Halfvarson au vibrato vraiment très large. Vient ensuite le valet, présent dans les trois actes, interprété par l'excellent Vincent Ordonneau, qui régale d'un petit air. La direction musicale peine hélas à composer des timbres et des lignes charmantes et l'orchestre manquant de tenue rythmique crée de nombreux décalages avec les chanteurs.
Une belle occasion toutefois de revoir une production qui n'a pas été revue depuis décembre 2016, et qui n’est pas annoncée pour une reprise future.