Christophe Rousset s’entoure de Talents lyriques pour ressusciter Tarare à la Philharmonie
Le nom de Salieri est lié à un mythe : jaloux de Mozart il serait responsable de la mort de ce dernier, alors qu’il était reconnu à Vienne et joué dans toute l’Europe. Tarare, opéra en cinq actes et un prologue sur un livret de Beaumarchais connut un grand succès et fut représenté moult fois avant de tomber dans l’oubli. Il faut attendre 1988 pour le voir réapparaître sur scène sous la direction de Jean-Claude Malgoire. Aujourd’hui, Christophe Rousset et le Centre de musique baroque de Versailles s’en emparent pour une série de concerts et un premier enregistrement mondial.
Ce regain d’intérêt confirme le talent de Salieri qui s’inscrit avec Tarare dans la tradition de la tragédie lyrique lullyste (les scènes dramatiques sont traitées en forme de récits fondés sur les impulsions de la déclamation française) et de la comédie satirique. Les touches comiques côtoient et dynamisent ainsi les scènes dramatiques. L’intérêt de cet opéra est également dû au livret audacieux de Beaumarchais : l’histoire du capitaine Tarare, qui s’introduit dans le sérail du sultan Atar grâce à l’aide de Calpigi afin de retrouver sa bien-aimée, l’esclave Astasie, s’accompagne d’un réquisitoire sur les conséquences d’un pouvoir tyrannique.
Cependant, la qualité des interprètes peine à rompre une certaine monotonie engendrée par la grandiloquence des récits, le peu d’ensembles, une orchestration manquant parfois de subtilité. Cette monotonie n’est certainement pas due à l’interprétation des Talens Lyriques que dirige Christophe Rousset. Les cordes virevoltent, les cuivres rayonnent et les percussions étincellent (avec tambourin et triangle pour la touche orientale), formant un ensemble cohérent et une interprétation vivante renforcée par le chœur : les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles dont les voix homogènes délivrent le texte en français dans une grande intelligibilité. La formation sérieuse que reçoivent ces étudiants leur permet de se distinguer aussi bien en ensemble qu’en solistes, ainsi Marine Lafdal-Franc et Danaé Monnié sortent-elles du rang pour des interventions appréciées.
Le succès de la performance réside aussi dans le choix des solistes, dont la cohésion s'appuie tout d’abord sur une diction irréprochable, rendant le surtitrage quasiment superflu. Cyrille Dubois a du rôle-titre la vaillance vocale et le port altier du soldat courageux (malgré quelques aigus fragiles). Son timbre clair qu’il allège souplement convient également à l’amoureux et son engagement total sied au héros distillant l’esprit des Lumières : « Être ce qu’on n’est pas, c’est renoncer à tout ce qu’on peut être .» Il fulmine même et, ramenant sa voix encore plus près de la nasalité, traite le sultan Atar de « Vautour, despote, méchant, tyran ! »
Jean-Sébastien Bou prend un réel plaisir à interpréter le rôle d’Atar. Dégagé de la partition, il incarne le tyran dans une théâtralité ostensible. Sa voix peut être suave et mixte quand il tente de séduire Astasie (« Je suis heureux, vous êtes ranimée ») et aussi d’une grande puissance quand son caractère belliqueux le submerge (« Le fer, le feu, le sang et le carnage »). Indispensable pour ce personnage à travers lequel Beaumarchais s’en prend à la monarchie absolue tandis qu'à travers le prêtre Arthénée, l’Église n’est pas épargnée. C’est le baryton Tassis Christoyannis qui prête son timbre profond à ce personnage corrompu, ainsi qu’au génie du feu du prologue. Dans une posture très ancrée, concentrée sur la partition et d’une voix résonante, il déclame son texte avec grande autorité et précision, roulant longuement les "r".
Bien que le rôle d’Astasie soit assez réduit, la présence de Karine Deshayes n'est pas moins remarquée. Son timbre riche et charnu lié à une puissance vocale impressionnante pigmente de dramatisme toutes ses interventions. Elle vit la musique aussi bien derrière son pupitre que sur sa chaise à l’écoute de ses partenaires.
La voix légère et serrée d’Enguerrand de Hys sert plus le comique de Calpigi que sa théâtralité, empreinte de retenue. Personnage benêt, il est le seul à interpréter un air « Je suis né natif de Ferrare » faisant sourire. Il est également proche de Tarare et va l’aider à contrer Atar : « L’abus du pouvoir suprême finit toujours par l’ébranler. Le méchant qui fait tout trembler, est bien près de trembler lui-même. » Judith van Wanroij, incarnant tout d’abord la Nature assignant les rôles du drame dans le prologue, devient Spinette, pendant féminin de Calpigi. Toute en malice, la soprano teinte son chant de sons timbrés et précis qu’un vibrato omniprésent adoucit.
Jérôme Boutillier -Urson- évoque le combat de Tarare et d’Altamort au cours d’un récit épique, d’une voix claire et colorée tandis que Philippe-Nicolas Martin projette sa voix généreuse et incisive, rendant à merveille la brutalité d’Altamort.
Après un épilogue significatif : « Homme ! ta grandeur sur la terre n’appartient point à ton état, elle est toute à ton caractère », Tarare est couronné de lauriers par des applaudissements chaleureux, après avoir été couronné roi malgré lui !