Les souvenirs et les regrets aussi... José van Dam ouvre le 10e Festival Notes d'automne
Conçu "pour renouveler la forme du concert" et "faire se croiser les amoureux des mots et ceux des notes", le Festival Notes d'automne au Perreux-sur-Marne, fondé et dirigé par Pascal Amoyel entremêle musique et littérature (concerts-littéraires, contés, théâtre, philosophiques, spirituels, lectures).
José van Dam fit ses adieux à la scène lyrique internationale peu de temps après la fondation de ce Festival, mais sa voix est toujours lyrique, même avec un timbre assourdi et déplacé vers le nez. Son amplification sur haut-parleurs paraît dès lors assurément inutile et même fort dommageable tant le volume sonore devient agressif dans les fréquents élans du chanteur et diminue d'autant la richesse du timbre. L'interprète tient pourtant le microphone loin de lui, ses bras restant croisés, ce qui contribue à un noble détachement dans l'attitude.
Cette combinaison d'un maintien méditatif au port altier et de l'épanchement vocal, vaillant et puissant du grave à l'aigu, le portent (et séduisent audiblement l'auditoire) durant tout le programme. Le soutien reste très fortement appuyé pour bien tenir les notes (de fait parfaitement justes, mais très râpeuses et même revêches).
L'articulation est toujours un modèle, en espagnol comme en français. Les tangos argentins de Juan de Dios Filiberto, Julio César Sanders, Ariel Ramírez et Carlos Gardel dansent sur des r très roulés, embarquant vers l'ample vibrato des fins de phrases. L'émotion nostalgique sud-américaine se déploie, elle est encore portée par les élans vocaux, comme la deuxième partie du programme commence avec les réjouissances de Georges Brassens (mais la tristesse n'est jamais loin). "Je m'suis fait tout p'tit devant'une poupée" amuse José van Dam dont la voix s'approche presque d'une imitation du guitariste moustachu, tandis que l'accompagnement rappelle l'album Brassens-Moustache jouent Brassens en jazz.
Mais cette interprétation et ces choix dans le programme mènent explicitement vers la nostalgie, le regard rétrospectif porté sur une vie et une carrière : au rageur "Et maintenant, que vais-je faire" de Gilbert Bécaud succède le contemplatif Plat pays (Brel) qui est aussi le sien (Joseph, Libert, Alfred, baron Van Damme est né à Ixelles, l’une des 19 communes de Bruxelles-Capitale). Van Dam chante La Bohème, non pas celle de Puccini mais d'Aznavour (surtout "Montmartre semble triste Et les lilas sont morts") et bien entendu Les Feuilles mortes de Prévert et Kosma.
Pianiste assis et debout, ainsi que le présente José van Dam, Jean-Philippe Collard-Neven très investi se lève régulièrement tout en jouant, mais l'implication conserve toujours son application : le musicien est fort penché sur son clavier, comptant ses notes comme autant de feuilles mortes tombant sur un piano très détaché. La précision, aux dépens de la souplesse tango ou jazzy, permet des improvisations thématiques très originales (au point de rendre parfaitement méconnaissable l'accompagnement des chansons célèbres) et s'assouplit au fil de la soirée, notamment en s'appuyant sur des ornements mordants.
Comme le chanteur, le contrebassiste Jean-Louis Rassinfosse demeure au contraire assis, celui-ci plaçant l'instrument entre ses jambes et manquant dès lors d'énergie dans son jeu, mais l'instrument ayant un son flatté par une forte et longue amplification. De ses pieds bien posés au sol, il bat la mesure, la martèle même pour la garder dans les passages plus rapides.
Les artistes invitent eux-mêmes à compter les années, non plus en printemps mais en automnes, un hommage donc aux 78 automnes de José van Dam : les Notes d'Automne se ramassent à la pelle, les sourires et les bravi aussi.