Tosca cinématographique à Liège
Habitué aux œuvres classiques (surtout italiennes), l’Opéra Royal de Wallonie relève le pari époustouflant de rester fidèle à son registre fétiche tout en offrant un visage de la Tosca sublimé, entre un visuel cinématographique moderne et une interprétation puissante, jusqu’au-boutiste. Cette œuvre magistrale et le mythe de Tosca tendent assurément un piège, celui de verser dans le pathos d’un mélodrame empathique et brutal : la femme ici subit tous les outrages (tromperie, menaces mortelles, chantage, tentative de viol), elle pêche par jalousie et orgueil et reste pourtant noble, pénétrant les progressives strates d’une descente aux enfers, en trois actes.
La musique s’offre dès l’ouverture avec une finesse à couper le souffle, véloce et puissante, annonciatrice d’un décor efficace, entre minimalisme et baroque flamboyant, prie-Dieu et lourds rideaux de chapelle pour une ambiance totale à l’italienne. Entre odeur d’encens de messe et térébenthine d’atelier, tous les sens sont requis pour rejoindre la Tosca.
Virginia Tola qui avait déjà interprété la Tosca de nombreuses fois peut se targuer de vivre son rôle avec puissance et aisance (rendant hommage à la sublime Sarah Bernhardt qui avait insufflé à Puccini son envie de créer Tosca). La puissance vocale va jusqu’à couvrir l’orchestre d’ultimes aigus, l'aisance scénique noble et précise est renforcée de graves ronds et d’aigus mûrs, parfois stridents mais de détresse, avec une gestion de souffle remarquée.
Le brillant Aquiles Machado, sa voix ronde, latine et très ornementée correspond à la sympathie attendue de son tendre Mario Cavaradossi, suivi jusqu’au peloton d’exécution avec la boule au ventre. Noble, affable, vif et tendre, son jeu théâtral est naturellement vériste. Jamais poussive, la voix se pose sur un beau grave puissant dans le tragique et une ligne claire dans les aigus.
Troisième grand personnage de la pièce, le monstrueux et despotique Baron Scarpia (Marco Vratogna, grand habitué du rôle), au service du régime autoritaire, fait régner la terreur avec abjection. Saoulée d’une toute-puissance vile et sadique, la voix forte, soufflée et grave du chanteur lui confère ce caractère d’insondable puissance, celle que fera plier Tosca par une lame.
Le sacristain est interprété par Laurent Kubla, légèrement poussif dans une voix certes fraîche et cernée de beaux graves, mais surtout juste dans le jeu, amenant une vivacité plus comique. Ample, solide et énergique, il peut s'autoriser un détachement élégant.
Grand habitué de la scène liégeoise, Roger Joakim joue celui par qui tout commence : Cesare Angelotti. Lui aussi souvent poussif de voix, notamment dans le grave, le reste de la tessiture démontre une assurance technique secondant un rôle spontané. Rôle bref mais remarqué, le jeune Spoletta, bras droit du despote, incarné par Pierre Derhet offre une voix acidulée, vive et résolue. Il sera bientôt sur la scène bruxelloise pour la production de Robert le diable.
Tosca se sera donc livrée dans l'écrin liégeois : bijou brutal.