Aux portes du ciel avec Damien Guillon au Collège des Bernardins
En une journée, rythmée par des concerts correspondants aux différents offices de la vie monastique, les curieux auront pu écouter de la musique et des conférences autour du thème des âges de la vie. Le dernier concert correspond donc logiquement à “Complies”, c’est-à-dire au dernier office de la journée, ici consacré à la vierge au pied de la croix, illustré dans le Stabat Mater de Pergolèse pour soprano (ici Céline Scheen) et alto (le chef, également contre-ténor Damien Guillon). La dernière heure est aussi évoquée, de manière moins sombre, dans le psaume Nisi Dominus mis en musique par Vivaldi pour alto, qui parle du relais entre les générations et du sommeil, notamment dans le fameux “Cum Dederit”. Entre ces deux œuvres, le Concerto pour violoncelle RV424 en si mineur de Vivaldi, interprété par Julien Barre, permet de faire une liaison stylistique et d’installer le climat.
C’est donc avec le Stabat Mater de Pergolèse que s’ouvre le concert. Damien Guillon réussit à diriger son ensemble sur instruments anciens (cordes, théorbe, clavecin et orgue en alternance) tout en chantant, donnant l’énergie du départ qu’il garde ensuite dans sa main, de manière discrète mais expressive. Dès l’ouverture, le son général de l’ensemble offre une énergie communicative : les musiciens se lancent à corps perdu dans cette musique, les relais entre les cordes qui caractérisent le premier morceau sont tendus et éloquents. Certains défauts de justesse des violons sont toutefois perceptibles (peut-être dus à un instrument récalcitrant dès l’accordage). Cela n’enlève rien à la cohésion de l’ensemble, ainsi qu’au mariage entre le timbre chaud et lumineux de la soprano Céline Scheen et celui plus froid mais seyant du contre-ténor. Deux personnalités distinctes mais un duo complice qui leur permet de proposer une lecture maîtrisée de la partition : Céline Scheen très théâtrale dans ses gestes et son regard, tout en restant musicale et sans forcer l’expression ; Damien Guillon, plus intérieur, mais d’une grande musicalité.
Céline Scheen ne semble avoir aucune difficulté dans l’ardu “Cuius animam gementem”, aidée par sa diction soignée, la pulsation et l’élan de l’orchestre. Le timbre de Damien Guillon déploie son expressivité dans “Quae moerebat”, même s’il privilégie parfois l’élan au dramatisme musical (une ambiguïté certes entretenue à dessein par Pergolèse lui-même). De la même façon, le contre-ténor émeut dans “Eia mater” avec son sens du phrasé, même si la tessiture très grave de l’air lui est moins confortable. Les airs et les duos se succèdent ainsi jusqu’au très beau “Quando corpus” qui rappelle le début de l’œuvre par ses relais de phrases entre les cordes et ses frottements harmoniques. Les deux voix se mêlent à nouveau, investies par l’émotion du moment, puis se libèrent dans le très virtuose “Amen” final. Un Stabat Mater chaleureusement applaudi, nonobstant une énergie orchestrale trop puissante dans certains passages plus intimes de l’œuvre, qui appelleraient des couleurs et dynamiques plus intimes.
Après l’entr’acte, le Concerto pour violoncelle en si mineur de Vivaldi fait passer de la musique napolitaine à celle de Venise. Cette courte œuvre en trois mouvements permet d’entendre Julien Barre, jeune violoncelliste avec déjà une belle carrière, qui joue lui aussi sur un instrument d’époque. Le son du violoncelle surprend au début, peinant à se distinguer de celui de l’ensemble, mais il laisse bien vite apprécier le phrasé et le rythme du soliste qui met en valeur cette musique sensuelle et élégante, aussi bien dans les traits virtuoses du premier mouvement que pour les longues phrases du Largo.
Damien Guillon revient alors s’aventurer avec courage dans le court mais complexe Nisi Dominus de Vivaldi, qui mêle vocalises redoutables et brillantes, un ambitus large allant des notes les plus graves du contre-ténor dans “Sicut sagittae” aux plus aiguës comme dans “Surgite” avec ses grandes montées virtuoses initiales. L’artiste impressionne également dans les longues phrases (“Cum dederit”) aux tenues piano sur la souple montée en gamme de l’orchestre. Un léger incident de souffle sur la dernière note tenue n’efface pas l’émotion séduisante.
Le public venu nombreux applaudit chaleureusement ce beau programme et ces artistes très investis qui donnent deux bis, le “Quando corpus” du Stabat Mater auquel répond l’enthousiasme de la salle puis Damien Guillon descend chercher Céline Scheen pour redonner un “Amen” final flamboyant, celui de Pergolèse, refermant cette soirée musicale, simple mais émouvante.