Beethoven, Martin et Liszt, tout un "programme" à la Philharmonie de Paris
Ces
trois œuvres
se réfèrent en
effet à
des idées extra-musicales et poétiques : Goethe permet à
Beethoven d’exprimer sa passion de la liberté à travers le
personnage d’Egmont. Frank Martin extrait six monologues de la pièce
d’Hofmannsthal, Jederman
(Chaque
homme, ouverture traditionnelle du Festival de Salzbourg)
interrogeant
l’attitude
de chacun devant la mort (sujet qui joue un rôle considérable dans
son œuvre),
enfin
Dante qui
accompagne
Liszt toute sa vie durant,
le
compositeur lui
dédiant une pièce maîtresse du deuxième cahier des Années
de pèlerinage
pour
piano et la Dante-Symphonie.
L’ouverture flamboyante d’Egmont ouvre le concert et permet au chef Michael Sanderling d’affirmer une direction précise à laquelle répond un Orchestre de Paris remarquable dans sa gestion des nuances et notamment des crescendi -subtilement ménagés- qui jalonnent la pièce. La nuance quelque peu retenue au début de l’œuvre s’intensifie ainsi progressivement jusqu’à l’explosion du chant de victoire final.
À l’occasion de ce concert, les Six monologues de Jederman font leur entrée au répertoire de l’Orchestre de Paris et Matthias Goerne poursuit grâce à eux sa collaboration avec cet ensemble. Dans les premiers monologues, la voix projetée énergiquement exprime la détresse et la colère de l’homme face à l’inéluctabilité de la mort. Soulevant son buste et ses épaules, le baryton mobilise tout son corps dans de grandes inspirations et propulse des aigus au prix d’efforts manifestes. Le timbre sombre offre de fugitives éclaircies en voix mixte sur certains mots (Vater, père ou Kreuz, croix) et il faut attendre le dernier monologue, Jederman acceptant sa condition d’homme grâce au pouvoir de la prière, pour faire entendre des sonorités suaves (Lass dir dies mein Gebet anstehn, puisses-tu entendre ma prière). Son legato très personnel dû à sa façon de faire vibrer les consonnes, et notamment les nasales, ainsi que la grande profondeur de ses résonances conviennent entièrement au Lamento intériorisé du troisième monologue. Autant de qualités témoignant de l'adéquation avec cet opus, le parcours psychologique et spirituel de Jederman, comprenant nombre d’éléments autobiographiques (notamment l'affliction extrême de Frank Martin à la mort de sa première femme). L’errance du personnage est accompagnée par une écriture orchestrale riche et variée que la direction précise de Michael Sanderling dévoile claire et équilibrée. Après un long silence imposé par le chef à la fin de l’œuvre, le public acclame les artistes.
La deuxième partie du concert est consacrée à la Dante-Symphonie de Liszt, trop rarement exécutée (au répertoire de l’Orchestre de Paris depuis 1985, elle n’avait pas été programmée depuis). Wagner considérait cette œuvre, qui lui est dédiée, comme une « création aussi géniale que magistrale », représentant « l’âme du poème de Dante dans sa transfiguration la plus pure ». Initialement conçue en trois mouvements intitulés Enfer, Purgatoire et Paradis, Wagner suggéra au compositeur de substituer une version chorale du Magnificat au Paradis, arguant qu’aucun musicien ne pouvait représenter le royaume des cieux.
Dans l’Enfer, l’Orchestre de Paris offre une belle homogénéité du son des cordes, de magnifiques solos des bois (la clarinette basse à laquelle répondent deux clarinettes ajustées), des roulements de timbales précis et menaçants. La direction minutieuse de Michael Sanderling met en évidence tous les contrastes de l’œuvre et propose de grandes suspensions de silences. Néanmoins, le Purgatoire semble moins inspirant : malgré la beauté du cor anglais et du hautbois en solistes, ainsi que de l'ensemble des cordes, l’intérêt diminue dans ces pages plus contemplatives. Au Purgatoire s’enchaîne le Magnificat final qui fait chanter les anges sous les traits des enfants du Chœur de l’Orchestre de Paris préparé à cette occasion par Edwin Baudo, Marie Deremble-Wauquiez, Marie Joubinaux et Béatrice Warcollier. Le son d’ensemble et la justesse du chœur (même quand ils chantent à l’octave) illuminent la fin de l’œuvre et emmènent le public droit au paradis.