À propos d’amour, Anke Vondung & Werner Güra en récital à La Monnaie
Consacré
à l'Italienisches
Liederbuch
(livre de chansons italiennes traduites par Paul Heyse), deux
recueils publiés par Hugo Wolf en 1891 puis 1896, le programme
auparavant présenté à Strasbourg et Paris, aura certainement mûri,
comme l’assurent les interprètes (un trio germano-autrichien déjà
apprécié sur ces mêmes planches de La Monnaie pour les
Liebeslieder
de Schumann en 2011 et Die
Allmacht
de Schubert en 2013).
Accompagné au piano par Christoph Berner, le couple se montre complice, humble et théâtral. Triangle amoureux formé par les deux voix et l'instrument, les lignes s’entremêlent dans une valse de couleurs romantiques avec une pointe d’audace stylistique. La structure très libre des Lieder d’Hugo Wolf laisse la part belle à la créativité dans un dialogue façon “recitativo arioso”, avec une petite touche d’humour et une bonne dose d’amour.
Romantisme oblige, ce sentiment est détaillé, entre amour déployé, caché et brisé, offrant aux trois artistes une très grande palette de teintes sentimentales, avec humilité, retenue et noblesse. 46 miniatures au service de l’amour, en conversation, joutent avec poésie, mais aussi un langage musical animé rappelant qu'il est contemporain de l’époque freudienne et sa psyché.
« En règle générale, l’aspect sensible est exagéré, parfois à l’extrême. Cela est associé à une tendance juvénile à tout dramatiser lorsqu’il est question de relations amoureuses. On obtient ainsi une succession de mini-drames dignes d’un marché italien » met en garde Anke Vondung, mais ici rien de tout cela grâce à l'art de la nuance. La voix chaude, très dessinée, légèrement soufflée de la mezzo-soprano se place entre richesse lyrique et diction baroque. La maîtrise des mots, les jeux de souffle, l’amour des intonations portent des sentiments humains perceptibles. “Ich esse nun mein Brot nicht trocken Mehr” (Je ne mange plus mon pain sec) se livre haché, suppliant et libre. L'allemand du texte est sa langue maternelle, l'italianité lui est également facile, sensuelle, colérique, sombre et entière (“Du sagst mir, daß ich keine Fürstin sei”, Tu me dis que je ne suis pas une princesse), se dessine d’une voix tempérée, féminine, acidulée et riche.
Noble, posée et naturelle, légèrement chaude, la voix de Werner Güra tempère les aigus de la chanteuse avec sagesse. Ancré, légèrement en retrait, son ténor chaste est parfois plus malicieux encore, mais surtout poignant dans les Lieder les plus sombres. “Heut’ Nacht erhob ich mich um Mitternacht” (La nuit dernière je me suis levé à minuit), volontairement dissonant et lent dévoile un amour honnête avec peine, ou “Der Mond hat eine schwere Klag' erhoben” (La lune a élevé une plainte grave) avec l'accompagnement progressif de Christoph Berner en touches minimalistes et volatiles. Toutefois, la vélocité de Werner Güra est légèrement en reste lors de l’interprétation du “Nein, junger herr” (Non, jeune homme), d’apparence simple mais finalement acéré et vorace ou encore “Laß sie nur gehen” (Laisse-la partir), loin de la sincérité sombre des autres morceaux.
Véritable dialogue amoureux, complice, nuancé avec sagesse et compassion, l'Italienisches Liederbuch d’Hugo Wolf s’incarne cependant dans une modernité et un amour inconditionnel de l’esprit romantique italien, mêlé à la beauté d’une langue allemande très sensuelle.