Christian Immler, un récital de maître à l’Auditorium du Musée d’Orsay
Les étudiants de l’Académie Orsay-Royaumont ont passé une semaine avec deux nouveaux professeurs (retrouvez les précédents en actualité, compte-rendu et interview), le temps de se perfectionner sur le répertoire romantique allemand des références que sont Schubert et Schumann. Les jeunes chanteurs offrent ainsi une promenade musicale autour de certains tableaux en préambule au récital, une appréciable transversalité qui met en perspective la musique et la peinture.
Le récital est dédié à la musique romantique, mais va au-delà avec un choix varié de compositeurs : outre Alban Berg et Hugo Wolf, des œuvres de Franz Schreker (très influencé par la musique de Richard Strauss et Wagner), ainsi qu'Erich Wolfgang Korngold et Wilhelm Grosz. Ces trois compositeurs ont tous été victimes du nazisme et les deux derniers ont dû quitter l’Autriche, respectivement pour les États-Unis et l’Angleterre.
Le récital commence dans une ambiance assez sombre et retenue avec quatre Lieder d'Hugo Wolf, sur des textes de Möricke, poète complémentaire dans sa production littéraire à l’écriture de Wolf par sa diversité de sujets et un sens de l’humour noir assez vif. Hugo Wolf représente ainsi le début de l’expressionnisme allemand.
Les quatre Lieder opus 2 d'Alban Berg restent presque dans la tonalité, sauf le quatrième qui est la première composition atonale de Berg. Avec l'allemand parfait de sa langue maternelle et une maîtrise technique impeccable, Christian Immler poursuit la peinture expressionniste allemande avec une large palette sonore, ses graves colorés ainsi que sa souplesse vocale. Le pianiste sert à merveille la voix de Christian Immler jusque dans la dernière pièce atonale, bouillonnante et spectaculaire malgré une ambiance sombre.
Après une longue pause, le duo et le bouillonnement reviennent pour deux Lieder de Franz Schreker. L’équilibre piano voix est ici un peu incertain, la partie pianistique très virtuose couvre parfois Christian Immler, mais le pianiste excelle à dépeindre la fougue du personnage. Le deuxième Lied, retrouve un baryton aisé dans un discours très vocalique.
Viennent ensuite cinq Lieder par Hans Gal, compositeur allemand très influencé par Brahms mais qui a développé son propre style après la première guerre mondiale. Ces morceaux très variés dans les différents thèmes traités sont raffinés par le piano et le chanteur à la chaude et colorée palette de graves (notamment dans Drei Prinzessinnen). La délicatesse de ses aigus est également à souligner tant dans leur clarté que leur facilité.
C'est ensuite au tour de l'autrichien Erich Wolfgang Korngold (1897-1957) de représenter le dernier souffle du romantisme viennois par Cinq Lieder (lui qui s’est fait cependant connaitre pour ses musiques de film chez Warner Bros). Ces cinq Lieder sont écrits sur des textes de Shakespeare, faisant passer le programme de l’allemand à l’anglais. Le fort accent allemand de Christian Immler est notable, mais avant tout ses qualités de comédien, utilisant à bon escient le parlé-chanté pour servir le texte. Le cabaret n’est pas très loin dans cette écriture.
Le programme se termine en beauté avec deux pièces de Wilhelm Grosz, qui a remarquablement mis en musique des chansons populaires avec un humour assez marqué. Avant de chanter ces deux mélodies, Christian Immler en lit la traduction avec son délicieux accent allemand pour mettre dans l’ambiance et permettre de retrouver les touches d’humour dans les mélodies.
Ainsi s’achève ce récital, d'abord teinté de sombre romantisme allemand puis progressivement ouvert aux couleurs musicales et à la théâtralité des textes.