Les nouvelles Voix d'Automne à La Grange au Lac d’Evian refermées par Joyce DiDonato
En association étroite avec l’Opéra national de Paris et son Académie, un nouveau festival lyrique fort justement dénommé Voix d’automne, programmé sur quatre jours du 26 au 29 octobre 2018, vient de voir le jour au sein de La Grange au Lac d’Évian. Inauguré il y a juste 25 ans, cet écrin de 1.100 places est sorti de terre par la volonté de deux amis prestigieux, Antoine Riboud (alors PDG de BSN devenu le groupe Danone) et de l’immense violoncelliste Mstislav Rostropovitch. Cette salle à l’acoustique parfaite domine Évian et le lac Léman, tout en s’intégrant parfaitement à l’abondante nature environnante. Cette « tente de bois » comme elle est nommée, est constituée uniquement de bois de cèdre et de pin. La scène dominée par six magnifiques lustres de Murano se trouve fermée par une forêt de bouleaux, hommage à la patrie de naissance de Mstislav Rostropovitch, la Russie.
La nouvelle direction artistique de La Grange au Lac souhaite désormais établir dans cette salle mythique, qui accueille depuis son origine les fameuses Rencontres Musicales d’Évian et plus récemment Jazz à la Grange, une programmation musicale annuelle encore plus ambitieuse. Outre le premier Printemps de la Grange en début d’année et la création de l’Orchestre Sinfonia Grange au Lac constitué de musiciens issus des meilleures phalanges européennes -le premier concert fut dirigé par Esa-Pekka Salonen, Gustavo Dudamel lui succédant en juillet 2019-, le chant au travers d’une nouvelle manifestation Voix d’automne se devait de compléter naturellement l’offre. C’est ainsi que l’Opéra national de Paris et son directeur Stéphane Lissner, présent durant tout le festival, se sont associés à la direction de La Grange au Lac afin d’offrir ensemble un festival d’art lyrique qui exploite les lieux entre théâtre musical et récitals.
Pour cette première édition, plusieurs concerts ont permis aux jeunes chanteurs de l’Académie de l’Opéra de Paris de se produire, notamment lors d’une soirée Mozart auprès de « trois glorieux anciens », Elena Tsallagova, Cyrille Dubois et Alexandre Duhamel. Un récital de la grande mezzo-soprano américaine Joyce DiDonato avec Craig Terry au piano vient clore avec prestige cette manifestation. Toujours fort élégante, souriante et simple d’abord, Joyce DiDonato a élaboré un programme diversifié comme elle les aime, entre musique espagnole, française, anglaise et italienne. Son puissant tempérament trouve à s’exacerber dans un extrait de la zarzuela de Pablo Luna El nino judio, "De espana vengo". D’emblée le public est conquis par l’engagement de l’interprète et ses envolées lyriques. Plus mesurée ensuite, elle aborde le cycle Shéhérazade de Maurice Ravel avec une pertinence moins nette : certains sons s’avèrent pris en-dessous ou des accentuations étrangères à cette musique toute de raffinement gênent tout comme certains "e" muets non respectés ou un "Sinbad" prononcé littéralement. Joyce DiDonato termine la première partie avec Les Troyens d’Hector Berlioz et l’air de Didon, "Adieu fière cité" (la chanteuse faisait l'aller-retour pour ce récital entre deux représentations de l'œuvre à Vienne).
Avec la neuvième des Tonadillas en estilo antiguo (1911), La Maja Dolorosa d’Enrique Granados, Joyce DiDonato brille de mille feux dès les premières mesures en cette seconde partie et fait valoir la beauté de ses graves ainsi que l’aisance de l’ensemble de sa tessiture. L’air fameux "Lascia ch’io pianga" tiré du premier opéra anglais de Georg Friedrich Haendel, Rinaldo, apparaît comme un modèle absolu d’expressivité avec un legato parfait et une variation des couleurs qui étreint. Comme souvent, Joyce DiDonato n’hésite pas à s’adresser directement à plusieurs reprises au public durant le concert. Avant d’attaquer deux Arie Antiche (remâchées par des générations de chanteurs lyriques en herbe), "Caro mio ben" et "Se tu m’ami/Star Vicino", elle plaisante avec les jeunes chanteurs présents et leur propose de revisiter ces pages dans un arrangement de son pianiste, Craig Terry. Le concert bascule alors avec légèreté et surtout un plaisir évident vers une version jazzy ou music-hall des deux mélodies. Craig Terry, un peu en retrait jusqu’alors et surtout attentif à suivre pour le mieux sa partenaire, laisse éclater une technique pianistique de premier plan et une facilité qui comble d’aise dans cette vision pittoresque du répertoire ancien. Pour terminer le concert, Joyce DiDonato aborde Rossini et le terrible "Tanti affetti" de La Donna del lago. La virtuosité qui a fondé en partie la réputation de la cantatrice, trouve pleinement à s’y déployer avec ses écarts extrêmes, ses appuis, n’excluant certes pas le sentiment ou l’introspection.
En bis,
hommage à Judy Garland avec l’impérissable Over the Rainbow
enlevé avec maestria et sensibilité. Les deux interprètes de ce programme, pour
la première fois réunis au disque, sortent d'ailleurs chez Warner Classics Erato un CD intitulé Songplay.