Hommage à Lili Boulanger à Toulouse, l’auréole d’une compositrice éclatante
Morte à 24 ans en 1918, quelques jours seulement avant Debussy, la compositrice a laissé une œuvre digne d’attention, qui cent ans plus tard, paraît encore nouvelle et surprenante. Ce programme, présenté par le Chœur du Capitole sous la direction d’Alfonso Caian, offre quatre opus de la compositrice : Pour les funérailles d’un soldat, pour baryton, chœur et piano, composé en 1913 sur un texte d’Alfred de Musset (Lili avait 19 ans) ; Deux pièces pour flûte et piano composées entre 1911 et 1914 ; Quatre mélodies pour mezzo soprano et piano (terminées l’année de sa mort), et le psaume De Profundis, pour chœur et orchestre, (présenté ici avec piano) achevé en 1917. Dans l’intime Chapelle des Carmélites, les Chœurs du Capitole sont d’une puissance envoûtante.
Les funérailles d’un soldat commencent avec des grondements profonds et répétés au rythme du glas au piano d'Anne Le Bozec, pour illustrer les tambours de guerre. Si les vers d’Alfred de Musset évoquent ici des guerres antiques, des batailles aux "javelines", dans des "armures d’or", l’univers sonore de Lili Boulanger est plus moderne. Ces grondements à l’extrémité grave du clavier font du piano un instrument de percussion, voire des cloches, résonnant hors tonalité. À l’orée de la Première Guerre mondiale, ils prophétisent le son des bombardements. C’est ensuite par le chant monacal, psalmodié et modal, devenant plain-chant, que la modernité cède aux sonorités médiévales. Ce chant monacal semble doublé par des graves profonds, à la manière des chœurs russes. Les basses des chœurs du Capitole ont ici leur moment de gloire. Thomas Dolié intervient pour les deux dernières strophes du poème. Il possède une riche assise, d’une ravissante couleur, portant des aigus héroïques vers ses réjouissants sommets. Sa voix est toutefois surdimensionnée pour la chapelle. Les Funérailles s'achèvent sur le glas rythmé au plus profond du clavier, alors que les chœurs chantent dans un sotto voce (à mi-voix) à l’unisson profondément émouvant. L'oeuvre dure seulement huit minutes, durant lesquelles tant d’images sonores et d'univers musicaux surviennent et passent, restant longtemps en mémoire.
Après tant de profondeur, les Deux pièces pour flûte et piano offrent un moment de légèreté. Nocturne et Cortège sont charmants et virtuoses dans le beau son clair de Sandrine Tilly.
Les Quatre mélodies pour mezzo-soprano et piano (Attente, Reflets, Le Retour, et Dans l’immense tristesse) sont d’un abord moins aisé que l’écriture chorale fascinante des Funérailles. Les trois premières chansons sont très intimes, subtiles et discrètes, très attentives à la poésie (de Maeterlinck, puis de Georges Delaquys) sans grande effusion, et l’accompagnement est également subtil et quasi allusif. Leur langage harmonique, non pas atonal, mais modulant constamment, annonce le style d’Honegger. Elles exigent et méritent une écoute répétée et très attentive pour entrer dans leur univers. La ligne vocale de la quatrième mélodie est très marquée par Pelléas et Mélisande, effacée, parlée, demandant une grande sensibilité d’expression et de belles inflexions. Yael Raanan-Vandor fait pour le mieux, sa voix de contralto est ronde et liquide, égale du haut en bas, avec des graves particulièrement beaux. L’acoustique de la salle ne la flatte toutefois pas, car un effet d’échos accélère un vibrato trop rapide et prive ses aigus d’un centre focalisé. Le spectre limité des nuances et inflexions ne rend pas hommage aux textes captivants.
L’essentiel de la soirée est consacré au psaume De Profundis que certains considèrent comme le chef-d’œuvre de Lili Boulanger. Contralto, ténor, chœur et piano (à la place de l’orchestre), démarrent l’œuvre (comme Funérailles) par des grommellements profonds, montant au cataclysme dans une introduction palpitante. Chaque instant est différent, étrange et fascinant. Elle traverse le tonal et l’atonal, dans un style qui présage Henri Dutilleux par certains endroits. Les voix des choristes se divisent parfois en fascinants clusters (grappes de notes), quasiment à l’unisson à d’autres moments. Le cri triple forte des chœurs, « Ah! lahvé Adonaï ! », est bouleversant. La contralto intervient alors comme un baume. Vers la fin, Yael Raanan-Vandor est rejointe par le ténor Dongjin Ahn, sortant du chœur avec une voix claire et pure.
Les forces réunies pour ce Psaume créent une expérience électrifiante. Puisse ce concert hommage à Lili Boulanger contribuer à faire connaître ce météore musical.