Le Teatro del Giglio de Lucques ouvre sa saison avec deux (beaux) tiers de Triptyque !
Geminiani,
Boccherini, Puccini, Catalani : avec quatre compositeurs natifs
de cette cité, il est normal que Lucques entretienne une tradition
musicale vivace. Le joli Teatro del Giglio, construit
il y a plus de trois cents ans (et où s’illustrèrent Gilbert Duprez et Maria Malibran) verra également affichés cette saison,
pour le lyrique, Otello, Lucia di Lammermoor
et La Bohème.
Le Triptyque est une œuvre particulièrement lourde à monter, notamment en raison d’une distribution très nombreuse dont les interprètes principaux peuvent difficilement être distribués dans les trois œuvres – à l’exception de la Zia Principessa (Suor Angelica) que l’on retrouve parfois en Zita de Gianni Schicchi – comme ce fut le cas ici. C’est peut-être la raison qui a poussé le Teatro del Giglio à ne monter que les deux derniers volets du Triptyque.
L’Orchestre de la Toscane est impliqué et précis, délivrant des couleurs chatoyantes. Le chef Marco Guidarini, connu en France pour avoir dirigé l’Orchestre Philharmonique de Nice et créé l’Ensemble Apostrophe, se montre aussi à l’aise dans la comédie que dans le drame, trouvant toujours le tempo et les couleurs idoines, faisant entendre mille détails (notamment dans Suor Angelica) mettant en relief la modernité et la luxuriance de l’orchestration de Puccini.
Les protagonistes sont particulièrement investis dans leurs rôles. La voix de Svetla Vassileva, dans le rôle de Suor Angelica est moins souple, moins douce, peut-être moins éthérée que celle d’autres interprètes, et elle n’est pas très à son aise dans le registre de l’épanchement tendre et délicat. En revanche, elle se montre capable d’élans dramatiques puissants et impressionnants dans la confrontation avec sa tante comme dans la scène finale « Mi son data la morte ! O Madonna, Madonna, salvami ! » / « Je me suis donné la mort ! Ô Madone, sauve-moi ! ».
La lyricographie (à découvrir ici) du baryton Marcello Rosiello fait état d'une carrière exclusivement italienne. Cela est fort dommage tant il fait entendre une voix à la projection naturelle, d’une santé, d’une assurance totales. Ces qualités liées à la couleur particulièrement claire du timbre font que chaque mot prononcé est parfaitement compréhensible. D'autant que s’y ajoute une réelle présence scénique lui permettant de brosser un portrait irrésistible de Schicchi. Il remporte auprès du public un triomphe mérité.
Isabel de Paoli incarne donc le double rôle de la Zia Principessa et de Zita. Elle impressionne l’auditoire par la projection autoritaire de sa voix (surtout aux deux extrêmes de la tessiture, le medium étant un peu moins sonore) mais aussi par sa capacité étonnante à incarner dans la même soirée une aristocrate odieuse de rigidité et d’intolérance et une bourgeoise délurée et plus ou moins libidineuse.
Les 27 autres rôles (!) sont tous très bien tenus, sans aucune faiblesse qui viendrait rompre un équilibre particulièrement précieux dans ces deux ouvrages. Il faut notamment saluer les deux ténors de Gianni Schicchi : Giuseppe Infantino et Santiago Induni possèdent des timbres agréables et donnent à entendre un chant soigné. Le premier, qui délivre un beau « Firenze è come un albero fiorito » / « Florence est comme un arbre en fleurs », forme, avec la Lauretta de Francesca Longari, à la voix claire et légère mais capable de belles envolées lyriques, un adorable couple d’amoureux. Consuelo Gilardoni tire son épingle du jeu dans le rôle secondaire de Nella, grâce à un timbre charnu et des dons certains pour la comédie, de même qu’Antonella Biondo dont on apprécie la voix claire en Ciesca et plus encore en Suor Genovieffa.
Au-delà de ces performances individuelles, c’est l’esprit d’équipe régnant sur le plateau qui est particulièrement appréciable. Avec le chef, le responsable en est Denis Krief, qui signe une mise en scène sobre et émouvante pour Suor Angelica (l’apparition finale du fils de la protagoniste est particulièrement poignante) et vraiment drôle pour Gianni Schicchi, avec maints détails suscitant l’amusement ou les rires du public (Lauretta faisant signe à Rinuccio qu’elle a réussi à embobiner Schicchi à la fin de « O mio babbino caro », le groupe des héritiers se massant devant le docteur pour qu’il ne voie pas que Buoso est mort et que Schicchi a pris sa place).
Signe que le travail d’équipe fut réel et efficace : même si Svetla Vassileva et Marcello Rosiello reçoivent des applaudissements particulièrement nourris, c’est l’ensemble des artistes, sans exception, que le public remercie chaleureusement, faisant de cette soirée un très joli succès.