Splendeur du Requiem de Mozart par Herreweghe au TCE
Des
deux mains, le chef s’élance vers l’astre de Jupiter (la
Symphonie n°41 de Mozart) sous la voûte du Théâtre des Champs-Élysées. Les cordes et les timbales frémissent, s’éteignent
en un lyrisme délicat, puis se ravivent de manière impromptue en
exultant de plus belle, brasier incandescent sans cesse animé. De ce
contraste initial, la fougue et la mesure conversent, s’échangent
quelques lignes majeures ou mineures. Aiguisées et saillantes sur le
son chaleureux des bois, les cordes cultivent l’élégance et la
précision du trait, les rythmes pointés comme les doubles notes
articulées avec minutie et s’achevant en un ultime coup d’archet,
décroché vers le ciel. De l’Andante
cantabile (con
sordino), le chef
laisse se déployer les thèmes avec une largeur de son et une
souplesse dans l’expression délectables, le beau chant et la grâce
sautillante des notes staccati (piqués) alternant dans un jeu complice. Ce mouvement offre une respiration
saine, sans tomber dans l’alanguissement, le rythme somme toute
marqué de manière sensible, que ce soit aux contrebasses, aux bois
ou au cor à la fin de la pièce. Cette présence rythmique se
retrouve pertinemment dans le Menuetto
et le Trio qui
suivent, aux trois temps stimulants. Dans le quatrième mouvement, l’orchestre déploie cette explosion
d’allégresse par des mouvements millimétrés avec une énergie
étincelante. Les
premiers applaudissements s’élèvent.
Le contraste, à nouveau. Après l’espérance et la jubilation de la Symphonie « Jupiter », place au Requiem, amené par la venue sur scène du Collegium Vocale Gent tout vêtu de noir, et des quatre solistes : Emőke Baráth, Eva Zaïcik, Maximilian Schmitt et Florian Boesch placés en fond de scène. Le chef distille le caractère de chaque joyau dans une interprétation sobre, mais très expressive. Dès les premières mesures frissonnantes, l’Orchestre des Champs-Elysées respire et sonne installé, laissant résonner les silences à propos, respirations divines chez Mozart. Constamment à l’affût, il soutient avec corps les différents solistes par des grappes de notes légères et élancées ou au contraire plus généreuses (dans le Sanctus). Dans le Kyrie et ses longs mélismes, les chanteurs trouvent un écho dans les vifs coups d’archet des cordes. La cohésion et l’homogénéité de l’ensemble servent admirablement la partition avec une expressivité dramatique.
Au cours de l’Introitus, Emőke Baráth se lève, seule, et élève l’auditeur d’un motif aérien, filé avec une grande délicatesse. La voix, doucement ondulée et comme légèrement contenue, montre des aigus soyeux, parfois saillants, lorsqu’elle vient chercher une plus grande intensité dans l’expression. À ses côtés, Eva Zaïcik se montre plus discrète que sa compagne, l’accompagnant dans les parties en duo avec des intervalles harmonieux. D’une voix ronde, elle projette des aigus clairs et des médiums bien timbrés avec un legato tout en grâce. Chez les hommes, le ténor Maximilian Schmitt déploie une voix lyrique et élancée dans des aigus intenses, comme constamment agités, qui se couvre parfois pour laisser s’échapper de beaux piani. Quant au baryton Florian Boesch, celui-ci s’impose dès les premières notes avec un Tuba mirum chanté d’une voix caverneuse et imposante, tirant des graves profonds des abysses pour les articuler avec minutie. Dans le Benedictus, la voix s’élève, s’extrait des ténèbres pour se faire chaleureuse et suave, porteuse d’un apaisement qui transparaît dans des lignes consolatrices. En outre, ces quatre voix de prestige offrent de remarquables passages en quatuor, dont un mémorable Recordare tout en équilibre et en nuances.
Le public, venu nombreux pour l’occasion, gratifie chaleureusement l’ensemble des interprètes, redoublant d’acclamations pour le chœur et les solistes ayant porté ce Requiem.