Conversations avec le Ciel par le Concert Étranger
Le thème de cette 39ème édition du Festival d’Ambronay, Vibrations : Cosmos, inspire à Itay Jedlin un programme autour d’œuvres de compositeurs de confession luthérienne qui furent le support musical d’une conversation avec Dieu. Par le chant, le croyant exprime ses plaintes et, par la mise en musique des textes bibliques, il se console et se rassure. La prière magnifiée par la musique est particulièrement présente chez les luthériens, encouragés par les paroles d’Augustin d’Hippone : « Chanter, c’est prier deux fois ».
Pour placer le public dans l’état de recueillement et d’écoute, le concert commence avec un madrigal profane de Claudio Monteverdi (1567-1643), Anima dolorosa che vivendo, chanté a cappella derrière l’orchestre, le petit effet de spatialisation renforçant les intéressants effets de l’harmonie mais n’aidant pas la compréhension du texte. L’ensemble instrumental répond avec le sombre Courant Dolorosa de Samuel Scheidt (1587-1654), organiste et maître de chapelle de la Marktkirche de Halle. S'y apprécient les couleurs proposées par les deux violons, mais elles ne sont pas vraiment reproduites par la basse continue. Dans Aus tiefer Not schrei ich zu dir (Ô Éternel ! Je t’invoque des lieux profonds) de Johann Hermann Schein (1586-1630), deux sopranes se répondent en échos. Leurs voix se confondent parfois mais leurs timbres sont tout de même très différents : celui de Cécile Achille est rond et lumineux tandis que celui de Cécile Granger est plus clair. Après une Sonata Lamentabili a 4 de Heinrich Ignaz Franz von Biber (1644-1704), dont la compréhension du discours musical souffre du déséquilibre causé par les trop nombreux instruments graves, qui résonnent aisément dans l’abbatiale, et de la justesse parfois douteuse des violons, le public découvre l’œuvre d’Andreas Hammerschmidt (1611-1675), disciple de Schütz populaire en son temps grâce à sa musique mêlant l’esprit luthérien aux innovations du madrigal italien. Dans son interprétation engagée de Ach Gott, warum hast du mein vergessen? (Dieu, pourquoi m’as-tu oublié ?), le ténor Jeffrey Thompson montre tout son talent : les exagérations de ses expressions faciales et vocales interpellent, convainquent ou agacent. Quel que soit l’avis de l’auditeur, le texte profondément affligé est ainsi très compréhensible, avec des tremblements de voix volontaires pour illustrer la tristesse, que le trio vocal tente de rassurer.
Les ensembles vocaux manifestent le soin porté à l’homogénéité des chanteurs, très appréciable dans le Herr, wie lange willst du mein so gar vergessen? (Jusqu’à quand, Seigneur, m’oublieras-tu ainsi ?) de Hammerschmidt. Malheureusement, l’interprétation souffre d’un jeu de l’orgue qui ne sonne pas très juste, surtout avec les violons. Cécile Granger fait également entendre une intonation parfois difficile lors de son Ergo sit nulla ratio salutis (Il n’y a donc nulle voie de salut), dans lequel elle ne se montre pas à l’aise : son tempo traîne, la diction du latin est incompréhensible. Le manque d’assurance apparent de sa partition contraint sa voix et empêche toute interprétation musicale. Le Ist nicht Ephraim mein teurer Sohn? (Ephraïm n’est-il pas mon cher fils ?) de Scheidt touche par sa tendresse paternelle et ses belles harmonies.
Hemmt eure Tränenflut (Arrêtez le flot de larmes) de Nikolaus Bruhns (1665-1697) est l’occasion d’entendre davantage les chanteurs en tant que solistes. Cécile Achille charme par sa présence et sa voix rayonnantes et consolatrices, sublimées par son sourire (« Nun hat es keine Not! » - La misère est maintenant abolie !). La douce et chaleureuse voix du contre-ténor Leandro Marziotte fait entendre de beaux piani. Le ténor Stephen Collardelle est l’opposé de son collègue Jeffrey Thompson, son chant est retenu dans l’expression mais presse dans l’exécution. Enfin, l’élégante basse Nicolas Brooymans annonce avec espérance et de sa voix pleine « Verlaβ ich gleich die Welt » (Quand je quitterai enfin ce monde), avant un « amen » collectif et vocalisé. Le concert se termine ainsi, assurant que malgré les angoisses et les lamentations, la promesse d’être entendu et récompensé est la réponse de Dieu.